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Stratégie de prise en charge dans la pratique clinique

Hypokaliémie – trouble fréquent découvert souvent fortuitement

L’   hypokaliémie est souvent découverte fortuitement lors d’  un bilan biologique. En général bien tolérée chez les patients âgés en bonne santé, l’  hypokaliémie peut avoir des conséquences vitales, en particulier chez ceux souffrant d’  une pathologie cardiaque sous-jacente. Cet article rappelle brièvement les mécanismes, causes et conséquences de l’  hypokaliémie et propose une stratégie de prise en charge dans la pratique clinique.



L’   hypokaliémie se définit par une concentration plasmatique de K  + <   3.5 mmol/l. Elle est qualifiée de légère à modérée entre 3.0 et 3.5 mmol/l, de modérée à sévère entre 3.0 à 2.5  mmol/l, et de sévère à <  2.5  mmol/l.
La prévalence de l’  hypokaliémie est d’  environ 3   % (1, 2) dans la communauté, de 16  % dans un service de médecine (3), et de 8  % (4) à 11   % (5) aux urgences.
Chez les patients âgés, l’  origine des hypokaliémies est le plus souvent rapidement identifiée mais d’  autres sont d’  étiologie plus complexe et nécessitent une compréhension des mécanismes physio-pathologiques sous-jacents pour les traiter adéquatement.

Homéostasie du potassium

Entre 90 à 98  % des 3500 mmol de K + de l’  organisme est intracellulaire, le solde étant extracellulaire (6, 7). Le K + est le principal cation intracellulaire (muscles : 3 000 mmol, foie : 200 mmol, globules rouges : 200 mmol) (8). Le K + détermine le pouvoir osmotique intracellulaire. Les échanges transmembranaires (actifs par la NA  +  - K  + - ATPase et passifs par diffusion vers le milieu extracellulaire) régulent les variations de la kaliémie à court terme.
L’  apport quotidien moyen de K + est d’  environ 2500 mg/j (=  62.5 mmol/j), plus important chez les grands consommateurs de fruits/légumes et diminué chez les personnes âgées (6).
Le rein élimine 80   % du K  + absorbé (90 mmol/j), le tube digestif 15  % (10 mmol/j) et la transpiration 5  % (8,  9). Le rein régule donc la balance potassique à moyen terme via plusieurs facteurs (débit du fluide tubulaire, Na+, aldostérone, hormone antidiurétique (ADH) et pH extracellulaire).

Causes d’  hypokaliémie

Les causes de l’  hypokaliémie peuvent être classées en 3 catégories (tab. 1).

Insuffisance d’  apport
C’  est une cause rare d’  hypokaliémie, le rein étant capable de maintenir un taux de K + suffisant. Une carence peut être un facteur contributif lors de pertes rénales ou digestives augmentées. L’  apport quotidien minimum recommandé est de 1600 à 2000 mg/j (40-50 mmol/j) (6).

Pertes potassiques
– Pertes digestives : Lors de diarrhées ou d’  abus de laxatifs, l’  augmentation du volume des selles entraîne une perte accrue de K+ (10, 11). En cas de vomissements ou d’  aspiration gastrique avec perte d’  acide chlorhydrique, l’  hypokaliémie est due à l’  alcalose métabolique qui en résulte et qui entraîne une perte rénale augmentée de K  + (11, 12).
– Pertes rénales : Les diurétiques thiazidiques ou de l’  anse sont les médicaments les plus fréquemment responsables d’  une hypokaliémie (20 à 40  % des patients traités après 70 ans). Les diurétiques de l’  anse augmentent le risque d’  hypokaliémie de près de 4 fois (OR 3.7 ; 95  %CI : 1.9-7.4 ; p< .001) et les thiazidiques de près de 8  fois (OR 7.7 ; 95  %CI :4.9-12.0; p < .001).
– L’  hypovolémie stimule la sécrétion d’  aldostérone et d’  ADH et s’  accompagne d’  une alcalose métabolique hypochlorémique stimulant la kaliurèse.
– L’  hypomagnésémie est souvent associée à une hypokaliémie et l’  aggrave. Le Mg + + est indispensable au fonctionnement de la Na + -K + -ATPase. Son déficit favorise la déplétion intracellulaire et la fuite urinaire de K +. De plus, l’  hypomagnésémie stimule le système rénine-angiotensine-aldostérone. Les diurétiques de l’  anse, les thiazidiques (8, 11), les aminoglycosides, le foscarnet et le cisplatine peuvent provoquer une déplétion en Mg + + et entraîner une hypokaliémie (12).
– L’  excès de minéralocorticoïdes et/ou de corticostéroïdes (adénome, hyperplasie surrénalienne) induit une perte de K + (stimulation directement de la Na + -K + -ATPase).
– Dans les causes rares d’  hypokaliémie par pertes accrues, on retient certaines anomalies génétiques (syndrome de Liddle, syndrome de Bartter et syndrome de Gitelman) et les acidoses tubulaires (proximale, distale ou mixte).

Translocations intracellulaires
L’  alcalose induit un shift du potassium vers l’  intracellulaire, causant une hypokaliémie sans altération du contenu total de K+ de l’  organisme (6). Dans l’  alcalose métabolique de contraction, la perte de Cl- et la déplétion volémique sont à l’  origine de l’  hypokaliémie en stimulant le système rénine-angiotensine-aldostérone (hyperaldostéronisme secondaire). L’  administration de Cl- permet de corriger cette hypokaliémie. Dans l’  alcalose métabolique normo- ou hypervolémique, indépendante de la perte de Cl-, il faut suspecter un hyperaldostéronisme primaire (syndrome de Conn) ou une sténose des artères rénales. Cette hypokaliémie ne répond pas au Cl- mais au traitement de la pathologie de base (10, 12). L’  alcalose respiratoire a un effet moindre sur la balance potassique intra- et extracellulaire (9).
– Plusieurs médicaments (insuline, catécholamines, salbutamol, terbutaline, et théophylline) peuvent causer une hypokaliémie par shift intracellulaire.

Manifestations cliniques

L’  hypokaliémie, souvent asymptomatique, est généralement bien supportée chez les individus en bonne santé. Les manifestations cliniques varient selon la sévérité de l’  hypokaliémie allant de symptômes légers (fatigue, myalgies, faiblesse musculaire) à des tableaux cliniques sévères (rhabdomyolyse, iléus, rétention urinaire). On craint surtout les arythmies cardiaques et la mort subite chez les patients avec de pathologies cardiaques pré-existantes (11), comme les patients âgés, sous diurétiques, avec peu d’  apports alimentaires (9) ou traités par digoxine (7). Les manifestations principales sont résumées dans le tableau 2, mais restent rares pour un K+ > 3 mmol/l.
Pour chaque baisse de 0.1 mmol/l de K+ en-dessous de 3.4 mmol/l, la mortalité augmenterait de 11  % à 7 jours (AdjHR 1.11;95  %CI :1.04-1.18) et de 4  % à 30 jours (AdjHR 1.04 ;95  %CI :0.97-1.12) (3).

Prise en charge

Bilan
L’  anamnèse (vomissements, diarrhées, prise de médicaments) et un examen clinique ciblé (évaluation de la volémie) orientent le diagnostic étiologique. Un spot urinaire et un ECG complètent le bilan.
Estimation du déficit de K + : une perte de 1mmol/l de K + correspond à un déficit d’  environ 300 mmol du stock total de l’  organisme (7,  8) .
La figure 1 propose un algorithme de prise en charge simplifié.
Il faut contrôler régulièrement le K + chez les patients sous diurétiques, digoxine, ß2-agonistes ou qui sont diabétiques.

Prise en charge médicamenteuse
La vitesse de correction d’  une hypokaliémie dépend de sa sévérité, de la clinique et des comorbidités du patient (tab. 4). On peut résumer les grandes lignes de prise en charge :
– Une hypokaliémie légère à modérée (3.0 à 3.5 mmol/) asymptomatique peut être gérée par une alimentation riche en K + (tab. 3), une supplémentation orale étant nécessaire chez les patients symptomatiques et avec des pathologies cardiaques.
– Une hypokaliémie modérée à sévère (2.5 à 3 mmol/l) nécessite une supplémentation orale et une adaptation du traitement diurétique, soit en réduisant ou arrêtant les diurétiques kaliurétiques, soit en les combinant avec des diurétiques d’  épargne potassique, des inhibiteurs de l’  enzyme de conversion, des sartans ou des bêta-bloquants.
– Une hypokaliémie sévère (< 2.5 mmol/) nécessite une supplémentation intraveineuse en milieu hospitalier.

En cas de prise de diurétiques kaliurétiques, il faudrait parallèlement envisager de les arrêter ou au moins les diminuer avant d’  initier un traitement.
Une supplémentation conjointe en magnésium peut être utile, surtout lors d’  un traitement par diurétique de l’  anse qui induisent la perte de Mg ou par digoxine qui accélère l’  excrétion du Mg.

Supplémentation orale :
Les préparations orales à base de K+ comprennent le chlorure de K+ (KCl), le bicarbonate de K + (KHCO3) ou ses précurseurs (citrate de K +, acétate de K+) et le phosphate de K + (KPO4). Le KCl est le plus couramment utilisé (sel, liquide, comprimé ou capsule à libération lente). Le KCl est le traitement de choix pour les hypokaliémies sur diurétiques kaliurétiques et celles associées à une perte concomitante de Cl. Le KHCO3 est préféré en cas d’  acidose métabolique. Le KPO4 n’  est à envisager que si l’  hypokaliémie s’  accompagne d’  une hypophosphatémie.
En Suisse, il existe plusieurs préparations à base de K notamment le KCl retard Hausmann® (10 mmol de K +) et le K effervette Hausmann® (30 mmol de K +) contenant du citrate de K +. Ce dernier n’  est donc pas efficace en cas d’  hypokaliémie sur diurétiques kaliurétiques mais est indiqué en cas d’  hypokaliémie associée à une acidose.
Une dose de 1 x 20 mmol/j est suffisante en prévention d’  une hypokaliémie et un total de 40 à 100 mmol/j suffisent généralement pour la traiter. Une supplémentation est recommandée lors d’  insuffisance cardiaque et/ou arythmie pour maintenir une kaliémie ≥ 4  mmol/l (6). La prise orale est alors répartie en plusieurs prises (11).
Les suppléments oraux de K + ont des effets secondaires principalement digestifs : nausées, vomissements, diarrhées, flatulence, ballonnement et inconfort abdominal. De fortes doses de K oral peuvent provoquer une irritation gastro-intestinale avec, très rarement, des ulcérations et/ou hémorragies digestives.
En cas de perte rénale chronique et stable en K + un diurétique d’  épargne potassique (par ex. amiloride) peut être donné.
Le K + sérique devrait être surveillé tous les 3-4 mois chez les patients recevant une supplémentation chronique ou plus souvent si cela est cliniquement indiqué.

Supplémentation i.v. :
Il ne faut en aucun cas administrer de K+ en bolus (risque d’  arythmies malignes).
Lors d’  hypokaliémie sévère (< 2.5 mmol/l) et/ou réfractaire au traitement oral, si le patient ne peut pas prendre le traitement oral (vomissements), ou en cas d’  atteinte cardiaque, le K + doit être apporté par voie i.v. en milieu hospitalier (maximum 20 mmol/h (11) sous pompe avec un suivi régulier du K + sérique). Une surveillance ECG continue ou une télémétrie sont justifiées en présence d’  arythmies ou d’  anomalies ECG dues à l’  hypokaliémie, lorsque le K + i.v. est administré à > 10 mmol/h ou s’  il existe un risque d’  hyperkaliémie de rebond.
Le K + est perfusé dans une solution saline sans glucose (risque d’  augmentation du taux d’  insuline plasmatique et d’  aggravation transitoire de l’  hypokaliémie).
Les solutions de K + pouvant irriter les veines périphériques (douleurs, phlébites), la concentration ne doit pas dépasser 40 mmol/l, et la vitesse 10-20 mmol/h (réduire vitesse et/ou concentration en cas de douleurs). Si des taux élevés sont administrés, ils doivent être perfusés dans une veine centrale.
Même lorsque les déficits sériques sont importants, il est rarement nécessaire de donner > 100 à 120 mmol de K +/24 h, sauf dans les situations où les pertes de K  + se poursuivent.

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DreElisabeth Stamm

Cheffe de clinique
Service de Gériatrie et Réadaptation gériatrique
CHUV
1011 Lausanne

Elisabeth.stamm@chuv.ch

Dr Marc Humbert

Service de Gériatrie et réadaptation gériatrique,
Centre hospitalier universitaire vaudois
Ch. de Mont Paisible 16
1011 Lausanne

marc.humbert@chuv.ch

Pr Christophe Büla

Service de Gériatrie et réadaptation gériatrique,
Centre hospitalier universitaire vaudois
Ch. de Mont Paisible 16
1011 Lausanne

DreWanda Bosshard

Service de Gériatrie et Réadaptation gériatrique
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV)
Mont-Paisible 16, 1011 Lausanne

Les auteur-e-s n’  ont pas de conflit d’  intérêts à rapporter.

◆ L’  hypokaliémie est un trouble électrolytique fréquemment rencontré en clinique. C’  est souvent une découverte fortuite lors d’  un bilan sanguin.
◆ Les diurétiques kaliurétiques ainsi que les pertes digestives sont les causes les plus fréquentes d’  hypokaliémie.
◆ Une bonne compréhension des mécanismes physiopathologiques permet une bonne prise en charge et la correction de ce trouble.
◆ La supplémentation per os est en général suffisante pour corriger une hypokaliémie, mais un traitement intra-veineux doit être privilégié en cas d’  atteinte sévère.

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