- La conciliation médicamenteuse dans le parcours de soins
L’ entrée et la sortie d’ hôpital sont des points critiques pour la continuité des soins et sont associés à un taux d’ erreurs médicamenteuses élevé. La conciliation médicamenteuse aux différents points de transition, procédé permettant d’ améliorer le transfert de l’ information médicamenteuse entre l’ hôpital et la ville, a été identifiée comme prioritaire par l’ OMS. Des difficultés de mise en place de ce processus ainsi que des évidences parfois faibles quant aux bénéfices cliniques pour les patients ont jusqu’ ici limité son déploiement en Suisse. Ces éléments, combinés à la difficulté d’ obtention de l’ information sur les médicaments aux points de transition, appelle à des solutions d’ optimisation du processus dans l’ attente d’ une amélioration du flux de l’ information médicamenteuse au-travers du dossier électronique du patient.
Introduction
La transition des soins du patient entre l’ ambulatoire et l’ hôpital est associée à un haut risque d’ erreurs médicamenteuses, définies comme l’ omission ou la réalisation d’ un acte non intentionnel impliquant un médicament durant le processus de soins, pouvant être à l’ origine d’ un risque ou d’ un événement indésirable pour le patient (1). Ces erreurs sont plus à risque de survenir chez le patient âgé, population qui présente souvent plus de co-morbidités et une polymédication. Les effets indésirables (EIs) liés aux médicaments sont dus à des erreurs médicamenteuses dans plus de la moitié des cas (2) et surviennent majoritairement aux points de transition entre la ville et l’ hôpital (3-5).
Processus en trois étapes
La conciliation médicamenteuse se définit comme « un processus formalisé, interactif et pluridisciplinaire dans lequel les professionnels de santé travaillent en partenariat avec les patients pour assurer un transfert précis et complet des informations sur les médicaments du patient aux interfaces de soins » (6). Elle vise à établir la liste la plus exhaustive des médicaments pris par le patient et à détecter et justifier toute divergence entre deux listes médicamenteuses à différents moments du parcours de soins du patient (7). Elle a été définie comme l’ un des cinq axes prioritaires de l’ OMS dans le cadre de son projet « High 5S » pour améliorer la sécurité des patients (8). Le processus de conciliation médicamenteux est utilisé dans de nombreux pays. Or, en Suisse, la conciliation médicamenteuse est encore très peu développée (9).
L’ établissement d’ une conciliation médicamenteuse devrait se faire idéalement à toutes les étapes du parcours de soin du patient. Celle-ci comporte 3 étapes, dont (i) la réalisation du bilan exhaustif et complet des médicaments pris actuellement par le patient par la recherche active d’ informations sur les traitements du patient, ii) la comparaison du bilan des médicaments du patient avec la nouvelle ordonnance du prescripteur et (iii) l’ actualisation de la prescription et du dossier patient. Cette démarche certes indispensable peut être négligée car elle nécessite des compétences et des ressources en personnel qualifié, ainsi qu’ un temps dédié conséquent pour son élaboration (9, 10).
Les bénéfices cliniques de la conciliation médicamenteuse
Il est bien établi que la conciliation médicamenteuse permet de diminuer le nombre de divergences médicamenteuses aux points de transition (11, 12). Ces divergences peuvent être de différentes natures. Elles peuvent concerner la posologie, la galénique, l’ horaire et la fréquence d’ administration, le principe actif ou la spécialité. Des omissions ou des duplications de traitement sont également possibles. En termes d’ impact clinique pour le patient et le système de santé, quelques revues systématiques et méta-analyses ont évalué l’ efficacité de la conciliation sur la survenue des EIs, la mesure de l’ utilisation des ressources en soins de santé et la mortalité (12-16).
Les évidences sont faibles quant à un bénéfice de la conciliation sur la survenue des EIs potentiels ou évitables, avec toutefois un effet marqué sur la diminution du nombre d’ hospitalisation lié à un EI (risque relatif (RR) 0.33 IC 95 % 0.20 – 0.53) (12). Concernant les recours aux soins, une diminution cliniquement significative du nombre de réadmissions à l’ hôpital (RR 0.81, IC 95 % 0.70-0.95) ou de visites aux urgences (RR 0.72, IC 95 % 0.57-0.92) toutes causes confondues (15) a pu être démontrée. Toutefois, une diminution non significative du nombre de réhospitalisations (RR 0.72, IC 95 % 0.5-1.18) ou de la durée de séjour (RR 0.48, IC 95%-1.04 -1.99) a été rapportée et aucun effet sur la mortalité (RR 0.75, IC 95 % 0.27 – 2.08) (11). Il est à noter une grande hétérogénéité des études du fait de variations méthodologiques marquées d’ une étude à une autre (définition des divergences, procédure de collectes des données, lieu de conciliation), ce qui rend la comparaison entre études difficiles et pourrait expliquer certains résultats négatifs (11, 13, 15).
Barrières et facilitateurs à la conciliation médicamenteuse à la transition ville-hôpital
Les patients âgés sont particulièrement à risque de subir un EI lié à la prise d’ un médicament et ils présentent un risque d’ hospitalisation accru. On note également une prévalence plus importante de troubles cognitifs et de troubles visuels, qui, combinés à la polymédication, les met à risque de moins bien connaitre leur traitement et leur indication. On constate également un risque augmenté dans le nombre d’ intervenants pouvant jouer un rôle dans le processus de prescription (médecin traitant, médecins spécialistes, médecins de l’ hôpital) et d’ administration (pharmacie, soins à domicile) des médicaments. Plusieurs problématiques liés à la conciliation médicamenteuse peuvent également survenir pendant le séjour hospitalier qui implique souvent de multiples transitions en soins avec le passage par les urgences, les soins aigus et parfois un centre de traitement et de réadaptation (CTR) avant le retour à domicile. Le traitement est également modifié de manière courante à l’ hôpital pour se conformer aux listes de traitement des hôpitaux.
A l’ admission la principale difficulté réside dans l’ obtention d’ une liste complète et exhaustive du traitement habituel du patient. Ce processus se complexifie avec la pluralité des sources d’ information (médecin traitant, médecin spécialiste, pharmacie, patients, proches, soins à domicile) avec des risques importants de divergences (17-19). Le manque de disponibilité de la juste liste du patient à l’ admission et l’ identification sous-optimale des traitements du domicile augmentent le risque d’ EIs et affaiblit le processus de conciliation de sortie. La pharmacie, au cœur de la délivrance du médicament, apparaît comme une source à privilégier également dans la récolte de l’ information en complémentarité des informations transmises par le médecin traitant (19).
La conciliation de sortie est une autre étape importante du processus qui doit remplir les objectifs de respecter la continuité de prise du même médicament en amont et en aval de l’ hospitalisation. Durant le séjour hospitalier, plusieurs modifications du traitement sont effectuées en raison de l’ état et des pathologies du patient. La majorité de ces changements est intentionnelle et il est important de les documenter. Les divergences non-intentionnelles se constituent principalement d’ omissions, des substitutions de traitement et des erreurs de dose ou de posologie (9, 20). Le manque de justification des changements à la sortie, le délai d’ envoi de ces informations au médecin traitant et le peu de communication des informations aux pharmacien d’ officine ou au personnel soignant à domicile est une barrière importante à la continuité des soins (21). Comme suggéré dans une étude (22), le manque de documentation de l’ information sur les modifications thérapeutiques du patient est susceptible de provoquer en cascade une incompréhension de la part du médecin traitant, des modifications potentiellement inutiles du traitement, et des problèmes d’ adhésion pour le patient. La corrélation positive entre le nombre de divergences non documentées dans la lettre de sortie et le nombre de modifications à un mois a d’ ailleurs été rapportée (20).
L’ élaboration d’ un document de sortie capable de refléter les traitements réconciliés avec les traitements pris à domicile et y intégrant les modifications de traitements et leur justification aurait un impact positif sur la suite de la prise en charge du patient. Elle permettrait en outre d’ améliorer l’ intégration des pharmaciens d’ officine dans le processus mais aussi les patients ou proches-aidant dont la participation active pourrait contribuer à la prévention des erreurs médicamenteuses (21).
Perspectives
De nombreux documents de conciliation médicamenteuse ont été développés sous format papier ou électronique, de façon isolée ou dans des réseaux de soins incluant patients et professionnels de la santé. Le déploiement du dossier électronique du patient devrait permettre de centraliser les données, dont les médicaments au-travers du plan de médication partagé. D’ ici là, il est impératif qu’ une prise en charge interprofessionnelle soit renforcée entre médecins, pharmaciens, soignants et autres professionnels de la santé, en partenariat avec le patient et les proche-aidants pour permettre une meilleure transmission de l’ information sur le médicament et sécuriser la continuité des soins entre l’ hôpital et la ville.
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Les auteurs ont déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêts en rapport avec cet article.
◆ Le manque de transmission et de documentation de l’ information médicamenteuse engendre des risques médicamenteux aux points de transition du parcours de soin du patient.
◆ La conciliation médicamenteuse s’ avère être un moyen efficace de détection, de correction des erreurs médicamenteuses et de transmission des modifications thérapeutiques aux interfaces hôpital-ville.
◆ Une collaboration interprofessionnelle renforcée permettant une transmission facilitée de l’ information sur les traitements permettrait d’ améliorer la continuité des soins.
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- Vol. 10
- Ausgabe 3
- Mai 2021