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Révision des carences les plus fréquentes et de leur supplémentation

Vitamines

Les vitamines sont des substances organiques, qui ne peuvent être synthétisées par l’ organisme et qui se trouvent dans les aliments d’ origine animale ou végétale. Un manque de certaines vitamines peut entraîner des symptômes plus ou moins graves, tout comme un surdosage. Les besoins journaliers et les normes restent débattus, ce qui résulte dans des indications de dosages et de supplémentation hétérogènes. Le but de ce papier est de passer en revue les déficits vitaminiques les plus fréquents et de proposer des indications de dosage et des schémas de substitution.



Les vitamines sont essentielles à une croissance corporelle normale et à l’  activité physiologique. Elles sont divisées en deux catégories : liposolubles (vitamine A, D, E, K) et hydrosolubles (vitamine C, B1, B2, B3, B6, B8, B9, B12).
Le tableau 1 résume les normes, les symptômes en cas de déficit ou de surdosage et les substitutions des principales vitamines.

Vitamines liposolubles

Vitamine A

La vitamine A est aussi appelée acide rétinoïque. Son action se fait au niveau des cellules rétiniennes : les cônes (responsables de l’absorption de la lumière et de la vision en couleur) et les bâtonnets (détection des mouvements et vision nocturne). La vitamine A joue aussi un rôle dans la différentiation cellulaire et l’ intégrité oculaire. Chez les patients à risque de carence en vitamine A (chirurgie bariatrique, maladie digestive avec déficit du métabolisme lipidique), un dosage est indiqué. La substitution se fait per os avec 200 000 UI (60 mg de rétinol) à J1, J2 et J15 (1). En Suisse des capsules à 25 000 UI sont disponibles en pharmacie, ainsi que dans de multiples complexes vitaminiques à plus faibles doses.

Vitamine D

Très peu d’ aliments contiennent naturellement de la vitamine D (sous forme d’ Ergocalciferol ou vitamine D2), en conséquence la synthèse dermique par exposition à la radiation UV est la source principale. La vitamine D, biologiquement inactive, doit être convertie en Cholecalciferol (vitamine D3). Elle est ensuite métabolisée par le foie en Calcidiol (25-hydroxyvitamine D ou 25[OH]D), puis dans le rein en Calcitriol (1,25-dihydroxyvitamine D), forme active de la vitamine D.
La Fondation Internationale pour l’ ostéoporose suggère qu’ un minimum de 75 nmol/L est nécessaire chez la personne âgée pour diminuer le risque de chute et de fracture (2). La vitamine D joue aussi un rôle important dans la régularisation cellulaire, tel que le système immunitaire ou cardiovasculaire.
Il est recommandé de dépister les déficits chez les personnes présentant des situations à risque, (ostéoporose ou ostéomalacie, pathologie rénale chronique, hyperparathyroïdie, malabsorption). Dans le cadre de la prévention des chutes, la question reste sujette à controverse et le dosage de vitamine D n’ est pas recommandé chez les personnes ne présentant pas de facteurs de risques pour une carence en vitamine D (3). Les recommandations de substitution lors d’ une carence (< 25 nmol/l ou 10 ng/ml) sont de 1500-2000 UI/j ou 300 000 UI (7500 µg) x 1 puis 800 UI/j. Concernant l’ insuffisance en vitamine D (25-50 nmol/l ou 10-20 ng / ml), une supplémentation de 800 UI/j ou 5600 UI/sem est recommandée (4). Le surdosage est possible lors d’ une consommation excessive de compléments sur une longue période (toxicité si > 220 nmol / L de Calcidiol sérique).

Vitamine E

La forme active la plus étudiée chez l’ homme de la vitamine E est l’ alpha-tocophérol qui est aussi la plus active biologiquement.
La vitamine E est un antioxydant avec effet protecteur des acides gras polyinsaturés (composants de la membrane cellulaire) de la peroxydation. Un déficit augmente le risque cardiovasculaire, via une oxydation du LDL affectant l’ endothélium vasculaire et facilitant ainsi l’ athérogenèse (5). Cependant l’ évidence dans la prévention et le traitement des maladies cardiovasculaires reste faible quant à une supplémentation en plus d’ un régime riche en vitamine E (6).
Les patients souffrant d’ une malabsorption des graisses sont plus à risque d’ une carence en vitamine E. Pour ces individus, en cas de déficit avéré, la substitution débute à 100 mg/jour (75 UI/j), puis est ajustée pour obtenir des mesures sériques normales d’ alpha-tocophérol, pour autant que les niveaux d’ albumine soient dans la norme (co-transport via l’ albumine). Aucun syndrome de toxicité aiguë de la vitamine E n’ a été décrit.

Vitamine K

La vitamine K, aussi appelée phylloquinone (vitamine K1 – sources végétales) et ménaquinone (vitamine K2 – produite par les bactéries intestinales), est essentielle à l’ activation des facteurs de coagulation II, VII, IX, X, protéine C/S. Toute cause de malabsorption des lipides peut entraîner une carence en vitamine K. Les antibiotiques peuvent contribuer aussi à une carence en affectant les bactéries intestinales.
La possibilité d’ une carence doit être évaluée en mesurant le temps de prothrombine (TP) et en dosant les facteurs vitamine K dépendants. Une supplémentation unique de 10 mg de vitamine K par voie orale est suffisante (administration i.v. ou sous-cutanée aussi possible en cas de malabsorption). Il n’ y a pas de risque de surdosage connu.

Vitamine B12 et Vitamine B9 (Folates)

Les vitamines B12 et B9 sont nécessaires à la formation des cellules hématopoïétiques, ainsi qu’ au bon fonctionnement neurologique. La vitamine B12 joue un rôle capital dans le métabolisme de l’ homocystéine, dont l’ augmentation représente un facteur de risque d’ artériosclérose et de maladies cardiovasculaires (7). Les symptômes neuropsychiatriques peuvent être présents même en l’ absence d’ anémie ou de macrocytose (8). L’ acide folique est aussi important durant la grossesse, notamment pour la formation du tube neural (8, 9).
Une carence en vitamine B12 se développe généralement sur des années, car les réserves biologiques sont élevées, au contraire une carence en folates peut se développer en quelques semaines. L’ anémie pernicieuse fait référence à une malabsorption en vitamine B12 causée par des autoanticorps qui ciblent le facteur intrinsèque, les cellules pariétales gastriques ou les deux.
Dans la pratique, la dose usuelle pour les adultes est de 1000 mcg une fois par semaine jusqu’ à ce que la carence soit corrigée, puis une fois par mois pendant 3 mois. Chez les adultes ayant une absorption normale, l’ administration orale est également efficace au même dosage (11, 12). En raison de leur structure, les folates alimentaires ne sont absorbés qu’ à concurrence de 50 % par l’ intestin, l’ acide folique synthétique est absorbé à presque 100 %. La carence en folates est traitée avec de l’ acide folique oral (1 à 5 mg par jour) (9).
De rares cas d’ hypersensibilité ou d’ éruptions acnéiformes avec de la vitamine B12 ont été rapportés.

La vitamine B1 (thiamine)

La vitamine B1 sert de catalyseur (coenzyme nécessaire à la catalyse) dans la conversion du pyruvate en acétyl coenzyme A et est impliquée dans de nombreuses activités métaboliques, dont le cycle de l’ acide tricarboxylique (11, 12). De plus, elle participe à l’ initiation de la propagation de la conduction nerveuse. Une carence en thiamine (< 30 µg/L) provoque des phénotypes cliniques de béribéri et de syndrome de Wernicke-Korsakoff (13). Les recommandations actuelles préconisent d’ administrer entre 200 et 500 mg de thiamine par voie intraveineuse 3  x / jour pendant 5-7 jours, puis 100 mg 3  x / jour per os pour 1-2 semaines, puis 100 mg per os 1 x / jour (14). Il n’ y a pas de risque connu de surdosage.

Conclusion

Les déficits vitaminiques varient selon la région géographique. En Suisse, le déficit en vitamine D reste le plus fréquent, notamment en raison de la moindre exposition au soleil pendant l’ hiver. Cependant, les réserves biologiques de vitamine B12 et B9, en raison de son implication dans le métabolisme érythrocytaire, peuvent rapidement s’ épuiser, si l’ alimentation n’ est plus suffisante à combler les besoins métaboliques (ex : alimentation végétarienne).
Cliniquement, la plupart des déficits vitaminiques sont réversibles de manière efficace. Néanmoins, le déficit aigue en vitamine B1 (lors d’ un éthylisme chronique par exemple), peut amener à des conséquences neurologiques graves et irréversibles. D’ autres déficits, comme la vitamine B12 ou E, suite à un déficit chronique et prolongé, peuvent aussi causer des atteintes irréversibles.
Le schéma de substitution idéal reste débattu. Une alimentation équilibrée reste le gold standard, mais lorsqu’ une substitution est nécessaire les indications de substitution des vitamines B1, B12, B9 et K sont bien reconnues, tandis que la vitamine D reste un sujet de débat avec des multiples schémas utilisés dans la pratique clinique.

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Dr Mauro Silva

Service de médecine interne et réadaptation Loex Bellerive
Département de réadaptation et gériatrie
Hôpitaux Universitaires de Genève
Hôpital de Loex
151 Rte de Loex
1233 Bernex

Pr Christophe Graf

Service de médecine interne et réadaptation Loex Bellerive
Département de réadaptation et gériatrie
Hôpitaux Universitaires de Genève
Hôpital de Loex
151 Rte de Loex
1233 Bernex

christophe.graf@hcuge.ch

Les auteurs ont déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêt en rapport avec cet article.

◆ Les vitamines sont essentielles à une croissance corporelle normale et à l’ activité physique. Elles se divisent en lipo- et hydrosolubles et se trouvent dans les aliments d’ origine animale ou végétale.
◆ Les besoins journaliers, les normes et le schéma idéal de substitution restent débattus. Le manque ainsi que le surdosage de certaines vitamines peuvent entraîner des symptômes plus ou moins graves, voire irréversibles. Une alimentation équilibrée reste le gold standard.
◆ En Suisse, le déficit en vitamine D, dû notamment à la moindre exposition au soleil en hiver, est le plus fréquent. Les réserves de vitamine B12 et B9 peuvent vite s’ épuiser si l’ alimentation (p.ex. végétarienne) ne comble pas les besoins métaboliques.

1. « WHO | Vitamin A supplements », WHO. https://www.who.int/nutrition/publications/micronutrients/vitamin_a_deficiency/9241545062/en/ (consulté le mars 21, 2021).
2. B. Dawson-Hughes et al., « IOF position statement: vitamin D recommendations for older adults », Osteoporos Int, vol. 21, no 7, p. 1151‑1154, juill. 2010, doi: 10.1007/s00198-010-1285-3.
3. S. G. für A. I. M. (SGAIM) Basel 4002, « Médecine Interne Générale ambulatoire (2021) – smarter medicine ». https://www.smartermedicine.ch/fr/liste-top-5/medecine-interne-generale-ambulatoire-2021.html.
4. M. Otto, « Supplémentation en vitamine D dans la pratique », 2014 :50, no 50, déc. 2014, Consulté le: mars 21, 2021. [En ligne]. Disponible sur: https://medicalforum.ch/fr/detail/doi/fms.2014.02093
5. G. Riccioni, A. Frigiola, S. Pasquale, D. G. Massimo, et N. D’ Orazio, « Vitamin C and E consumption and coronary heart disease in men », Front Biosci (Elite Ed), vol. 4, p. 373‑380, janv. 2012, doi: 10.2741/384.
6. A. Saremi et R. Arora, « Vitamin E and cardiovascular disease », Am J Ther, vol. 17, no 3, p. e56-65, juin 2010, doi: 10.1097/MJT.0b013e31819cdc9a.
7. S. P. Stabler, « Clinical practice. Vitamin B12 deficiency », N Engl J Med, vol. 368, no 2, p. 149‑160, janv. 2013, doi: 10.1056/NEJMcp1113996.
8. J. Lindenbaum et al., « Neuropsychiatric disorders caused by cobalamin deficiency in the absence of anemia or macrocytosis », N Engl J Med, vol. 318, no 26, p. 1720‑1728, juin 1988, doi: 10.1056/NEJM198806303182604.
9. V. Devalia, M. S. Hamilton, A. M. Molloy, et British Committee for Standards in Haematology, « Guidelines for the diagnosis and treatment of cobalamin and folate disorders », Br J Haematol, vol. 166, no 4, p. 496‑513, août 2014, doi: 10.1111/bjh.12959.
10. E. H. Reynolds, « The neurology of folic acid deficiency », Handb Clin Neurol, vol. 120, p. 927‑943, 2014, doi: 10.1016/B978-0-7020-4087-0.00061-9.
11. R. C. Langan et A. J. Goodbred, « Vitamin B12 Deficiency: Recognition and Management », Am Fam Physician, vol. 96, no 6, p. 384‑389, sept. 2017.
12. N. Wolak, M. Zawrotniak, M. Gogol, A. Kozik, et M. Rapala-Kozik, « Vitamins B1, B2, B3 and B9 – Occurrence, Biosynthesis Pathways and Functions in Human Nutrition », Mini Rev Med Chem, vol. 17, no 12, p. 1075‑1111, 2017, doi: 10.2174/1389557516666160725095729.
13. K. D. Wiley et M. Gupta, « Vitamin B1 Thiamine Deficiency », in StatPearls, Treasure Island (FL): StatPearls Publishing, 2021. Consulté le: mars 17, 2021. [En ligne]. Disponible sur: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK537204/
14. N. Latt et G. Dore, « Thiamine in the treatment of Wernicke encephalopathy in patients with alcohol use disorders », Intern Med J, vol. 44, no 9, p. 911‑915, sept. 2014, doi: 10.1111/imj.12522.