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Micronutriments et cicatrisation en gériatrie

La cicatrisation est un processus complexe caractérisé par 4 grandes étapes : la coagulation initiale est suivie par l’ inflammation, la phase de migration-prolifération, puis par le remodelage. La malnutrition affecte jusqu’ à 50 % de la population gériatrique : elle compromet la cicatrisation – son risque doit être identifié (score NRS). La cicatrisation et l’ immunité dépendent de plusieurs micronutriments. Or fer, sélénium, zinc, vitamines B (famille), C et D sont souvent déficitaires en gériatrie. Face à une évolution lente, le diagnostic et la correction des déficits accéléront le processus. La prise de suppléments oraux buvables (SNO) et des multi-micronutriments fera partie du traitement.



Wound healing is a complex process characterized by 4 main stages: the initial coagulation is followed by inflammation, the migration-proliferation phase, then by remodeling. Malnutrition affects up to 50 % of the geriatric population: it compromises healing – its risk must be identified (NRS score). Wound healing and immunity depend on several micronutrients. Iron, selenium, zinc, vitamins B (family), C and D are often deficient in old adults. Faced with slow wound healing, the diagnosis and correction of deficits will accelerate the process. Drinkable oral supplements (ONS) and multi-micronutrients will be part of the treatment.
Key Words: Malnutrition, deficit, inflammation, proteins, zinc, vitamins

La cicatrisation est un processus complexe caractérisé par 4 grandes étapes résumées dans la Figure 1. Sa rapidité et sa qualité vont dépendre de plusieurs facteurs, parmi lesquels le type de plaie, la qualité de la circulation périphérique (veineuse, artérielle) et l’ état nutritionnel du patient.

Après la vasoconstriction initiale et la coagulation, l’ inflammation, qui est une réaction stéréotypée du système immunitaire face à une agression externe (traumatisme, chirurgie, etc) ou interne (infection, stress), permettra la mobilisation de processus réparateurs. Ce processus essentiel de défense implique l’immunité innée et adaptative, des micronutriments, et des médiateurs chimiques favorisant la phase vasculaire. Au cours de phase initiale on observe la synthèse de dérivés de l’acide arachidonique : les prostaglandines favorisent l’ augmentation de la perméabilité vasculaire et de l’ œdème liés à l’ inflammation alors que les leucotriènes stimulent la migration leucocytaire. L’ inflammation devra ensuite se résorber et laisser la place à la phase anabolique de réparation et reconstruction. Cette étape implique des dérivés des acides gras polyinsaturés à chaîne longue oméga-3 qui vont moduler et atténuer la réponse inflammatoire. L’ acide eicosapentaénoïque (EPA) et de l’ acide docosahexaénoïque (DHA) sont convertis par des lipoxygénases en médiateurs appelés résolvines, protectines ou neuroprotectines (1). Si cette bascule vers la résolution ne se produit pas, l’ inflammation devient chronique, avec persistance du catabolisme tissulaire et retard de cicatrisation.

Types de plaies fréquentes en gériatrie

Les plaies sont définies comme une interruption du revêtement cutané de profondeur et d’ étendue variables. A côté des plaies chirurgicales, les plaies aiguës les plus fréquentes sont les éraflures et déchirures cutanées, et les brûlures. Une bonne perfusion tissulaire est une condition essentielle à une cicatrisation rapide. Si la fermeture dure plus de 6 semaines, la plaie est considérée chronique comme dans le cas des escarres, des ulcères de jambes, et des plaies du pied diabétique. L’immobilité et l’ absence de perception de la douleur compromettent la guérison, tout comme le fait la malnutrition.

Impact de l’ état nutritionnel

La malnutrition est fréquente en gériatrie (2), et peut affecter jusqu’ à 50 % des personnes en institution. Ses causes sont multiples et souvent liées à des comorbidités : les troubles de déglution, l’ inappétence, les effets des médications, des problèmes financiers, et des régimes sans sel y contribuent largement. Son dépistage est essentiel – que le patient soit à domicile ou en institution. Des scores validés, tels que le « MNA-SF » (mini-nutritional assessment short form) spécifique de la gériatrie (3), ou le plus simple score NRS (nutrition risk screening) de l’ ESPEN (4) permettent un diagnostic en quelques minutes : à noter que le NRS est reconnu et requis par les assurances pour étayer un diagnostic de malnutrition.

La malnutrition retarde la cicatrisation comme l’a confimé une étude pilote menée au CHUV chez 11 patients âgés de 71 ans (moyenne) qui avaient été référés en dernier recours en chirurgie plastique pour réparation chirurgicale de plaies chroniques (5). L’ évaluation nutritionnelle préopératoire avait montré une prise alimentaire insuffisante prolongée à l’ hôpital, et des valeurs sanguines très basses de fer, sélénium et zinc dans un contexte inflammatoire. La prise pendant les 5 jours préoperatoires de 1 à 2 suppléments nutritionnels oraux (SNO) protéinés couvrant environ 35 % de leurs besoins et de compléments oraux de micronutriments ont permis une cicatrisation rapide en 10 jours.

Micronutriments critiques

Certains micronutriments sont particulièrement importants pour la cicatrisation (6), et leurs fonctions sont résumées dans le tableau 1. Les micronutriments liés à la cicatrisation le sont aussi à l’ immunité : un déficit en fer (Fe), vitamines C et D, en vitamines B6 (pyridoxine) et B12 (cobalamine), acide folique et zinc (Zn) compromettent les défenses immunitaires (7).

La cicatrisation requiert un apport en énergie et protéines relativement élevé. Il faudra assurer des apports suffisants d’ énergie (25-30 kcal/kg) et de protéines (1.2-1.3 g/kg) (2). Parmi les acides aminés plusieurs études ont montré que l’ arginine, la cystine, la glutamine et la leucine sont particulièrement impliqués dans la cicatrisation. Plusieurs SNOs enrichis en acides aminés et micronutriments sont disponibles sur le marché à cet effet.

De manière générale, et pour des raisons de densité des aliments, une prise alimentaire inférieure à 1500 kcal/jour ne contient pas les doses de micronutriments correpondant aux DRI (dietary recommended intakes). Or, les sujets très âgés, consommant souvent 1300 à 1400 kcal/jour, ne peuvent ainsi pas couvrir leurs besoins de base (DRI), et le conseil d’ une alimentation équilibrée ne suffit plus. D’ autre part, avec l’ âge, l’ absorption digestive est progressivement compromise pour plusieurs micronutriments. Ce phénomène est bien connu pour la vitamine B12 en raison de la réduction du facteur intrinsèque gastrique (gastrite chronique), mais affecte aussi d’ autres vitamines et éléments traces.

Déficits en micronutriments fréquents en Suisse

Il y a ensuite des facteurs géographiques comme la pauvreté du sol suisse en sélénium et en iode qui en réduisent les apports alimentaires. Une revue récente des données disponibles sur la population suisse a résumé les risques spécifiques de déficit de plusieurs micronutriments en particulier dans la population âgée (8). Il s’ agit des vitamines C et D, du fer, du sélénium, du zinc, et des n-3 PUFAs (8). Or, ce sont justement les micronutriments critiques pour la cicatrisation.

Quand faut-il faire des dosages sanguins ?

Bien que les assurances cherchent à décourager ce qu’ elles considèrent comme des examens inutiles, poser un diagnostic de déficit est essentiel pour soigner les patients de manière ciblée et efficace. Les dosages de vitamine D et les bilans martiaux sont fréquemment critiqués par les assureurs. Or, en cas de déficit la cicatrisation sera retardée, et donc les coûts de traitement augmenteront. Néanmoins, doser des micronutriments doit être une prescription ciblée, et ne pas faire partie d’ un « ordinaire bilan de santé » en l’ absence de signes/symptômes évocateurs de déficit, comme un état de fatigue chronique, des infections à répétition, ou justement des retards de cicatrisation.

Quels micronutriments faut-il doser ? Le fer (et la ferritine), la vitamine D et le zinc en première ligne. Il faut toujours doser en même temps une CRP, car l’ inflammation provoque une redistribution extra-vasculaire des micronutriments et donc une réduction dans le compartiment sanguin. Il faut utiliser la CRP pour interpréter la valeur du laboratoire : tant que la CRP est <20 mg/l, l’ impact est faible, mais en cas de CRP >40 mg/L les valeurs de l’ ensemble des micronutriments (sauf cuivre et B12) sont déjà abaissées, et en cas de >80 mg/l fortement abaissées, au-delà même du déficit réel (9).

Quelles doses ?

Les doses physiologiques sont établies internationalement et sont appelées DRI (Dietary recommended intakes) (remplace les RDA). Si l’ alimentation ne couvre pas les DRI, il faut compléter, et en cas de déficit, il faut répléter (10). Mais la presciption isolée d’ un seul micronutriment n’ est justifiée qu’ en cas de déficit avéré. Il n’ y a aucune magie : on ne peut pas faire de la supra-cicatrisation, ou de la supra-immunité.

Que prescrire et sous quelle forme ?

L’ Office fédéral en charge de l’alimentation en Suisse (OSAV) répète qu’une alimentation équilibrée permet de couvrir les besoins de la population. Sauf que, c’est ne pas tenir compte des particularités de la population très âgée. L’ OSAV vient cependant d’ émettre le 18 janvier 2022 une recommandation d’administrer 800 UI/jour de vitamine D dès 65 ans (11) : cette dose sera le minimum en cas de cicatrisation, mais elle ne couvre pas les autres besoins en micronutriments pour lesquels il faudrait aussi un apport supplémentaire. Cependant, les préparations de multi-micronutriments contenant des doses normales (DRI) et celles de 0.5-1 g d’ oméga-3 PUFA ne sont pas remboursées à l’ heure actuelle car ne figurant pas sur la liste des spécialités de l’ OFSP. Ceci constitue un problème en cas de budget limité, situation fréquente dans la population âgée. Or, dans le cas de problèmes de cicatrisation, la prise de ces préparations associée à des SNO enrichis en protéines et micronutriments est indiquée. Les SNO, par contre, sont remboursés en cas de malnutrition documentée par un score NRS élevé, montrant l’ importance d’un diagnostic précis. Les SNO doivent être prescrits sur des documents ad hoc et la consultation d’ une diététicienne facilitera la démarche.

Conclusion

La cicatrisation est un processus complexe perturbé en cas de malnutrition globale et de déficits en MN tels que fer, sélénium zinc, et vitamines B, C, D et A : un bilan peut être requis. Une prise en charge efficace demandera une évaluation de l’ état nutritionnel, puis la prescription de doses de réplétion en micronutriments supérieures aux DRI en cas de déficit avéré. La prise par jour de 1-2 SNO enrichis en protéines pendant 5-10 jours, en plus d’ une complémentation avec des multi-micronutriments permettra d’ accélérer le processus.

Copyright Aerzteverlag medinfo

Pre hon. Mette M. Berger, MD, PhD

Faculté de Biologie et Médecine
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)
Rue du Bugnon 21
1011 Lausanne

mette.berger@chuv.ch

Pre Patrizia D’Amelio, MD PhD

Département de Médecine, Service de Gériatrie et
Réadaptation gériatrique
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)
Rue du Bugnon 21
1011 Lausanne

Les auteures déclarent n’ avoir aucun conflit d’ intérêts en rapport avec cet article.

◆ La malnutrition, fréquente en gériatrie, retarde la cicatrisation : il faut la dépister et diagnostiquer en utilisant un score validé (NRS).
◆ Fer, sélénium, zinc, vitamines B, C et D sont essentiels pour la cicatrisation et l’immunité : les déficits sont fréquents dans la population gériatrique suisse.
◆ Les déficits en micronutriments compromettent la cicatrisation, et le déficit en acides gras oméga-3 prolonge l’inflammation.
◆ Le traitement implique de corriger des déficits, d’assurer des apports d’ énergie et de protéines suffisants, et de micronutriments sous forme de suppléments buvables et de compléments de multi-micronutriments.

1. Calder PC. Omega-3 polyunsaturated fatty acids and inflammatory processes:
nutrition or pharmacology? Br J Clin Pharmacol 2013; 75:645-62.
2. Norman K., Hass U., Pirlich M. Malnutrition in Older Adults-Recent Advances and Remaining Challenges. Nutrients 2021; 13:
3. Kaiser M. J., Bauer J. M., Ramsch C., Uter W., Guigoz Y., Cederholm T. et al.
Validation of the Mini Nutritional Assessment short-form (MNA-SF): a practical tool for identification of nutritional status. J Nutr Health Aging 2009; 13:782-8.
4. Bauer JM, Vogl T, Wicklein S, Trogner J, Muhlberg W, Sieber CC. Comparison of the Mini Nutritional Assessment, Subjective Global Assessment, and Nutritional Risk Screening (NRS 2002) for nutritional screening and assessment in geriatric hospital patients. Z Gerontol Geriatr 2005; 38:322-27.
5. Raffoul W, Far MS, Cayeux MC, Berger MM. Nutritional status and food intake in patients with chronic low-limb ulcers and pressure ulcers: importance of oral supplements. Nutrition 2006; 22:82–88.
6. Demling R. H. Nutrition, anabolism, and the wound healing process: an overview. Eplasty 2009; 9:e9.
7. Hamer D. H., Sempertegui F., Estrella B., Tucker K. L., Rodriguez A., Egas J. et al. Micronutrient deficiencies are associated with impaired immune response and higher burden of respiratory infections in elderly Ecuadorians. J Nutr 2009; 139:113-9.
8. Berger M. M., Herter-Aeberli I., Zimmermann M. B., Spieldenner J., Eggersdorfer M. Strengthening the immunity of the Swiss population with micronutrients:
A narrative review and call for action. Clin Nutr ESPEN 2021; 43:39-48.
9. Duncan A, Talwar D, McMillan DC, Stefanowicz F, O’Reilly DS. Quantitative data on the magnitude of the systemic inflammatory response and its effect on micronutrient status based on plasma measurements. Am J Clin Nutr 2012; 95:64-71.
10. Berger MM, Shenkin A, Amrein K, Augsburger M, Biesalski HK, Bischoff SC et al., ESPEN Micronutrient guideline. Clin Nutr 2022; 41: in press https://doi.org/10.1016/j.clnu.2022.02.015.
11. Office fédéral de la sécurité alimentaire et, des affaires vétérinaires, (OSAV).
Vitamine D. wwwpublicationsfederalesadminch 2022