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Douleurs et spiritualité

Les liens entre la douleur et la spiritualité ont été mis en évidence par les nouvelles connaissances issues des neurosciences. Les zones du cerveau intégrant les différentes modalités de la douleur et de la souffrance impliquent des circuits corticaux et sous-corticaux. La douleur et la spiritualité sont à la croisée des chemins et permettent de nouveaux développements de l’ accompagnement spirituel.



The links between pain and spirituality have been highlighted by new knowledge coming from neuroscience. The areas of the brain integrating the different modalities of pain and suffering involve cortical and sub-cortical circuits. Pain and spirituality are at the crossroad and allow further developments of spiritual care.
Key Words: pain, spiritual distress, spiritual brain, logotherapy, spiritual care

Introduction

Que savons-nous aujourd’ hui de la douleur, ou plus précisément des douleurs, car elles apparaissent dorénavant sous des jours multiples, notamment avec les progrès des neurosciences. En effet, les douleurs occupent plusieurs régions du cerveau, tant cortical que sous-cortical. Elles peuvent être physiques, psychiques, psycho-sociales et plus récemment de nature existentielle et spirituelle.

Que savons-nous de la spiritualité, dans un siècle où déclinent les religions traditionnelles, au bénéfice d’ un essor important des spiritualités individuelles, de natures très variées. Car là aussi les neurosciences apportent un éclairage nouveau sur d’ anciennes questions. En effet, l’ étude du cerveau spirituel et religieux montre l’ importance des circuits mobilisés de manière cortico-sous corticale. Il apparaît dès lors que la spiritualité est un phénomène naturel et universel, une quête de lien et de sens, religieux ou non. En face, la religion est la réponse culturelle, traditionnelle, avec des rituels et de grands Médiateurs, impliquant plus ou moins de spiritualité.

C’ est pourquoi il est parfaitement légitime d’ investiguer à travers ces nouvelles connaissances les rapports entre douleurs et spiritualité, dans une perspective clinique intégrative. Le présent article fera le point sur cette interface, notamment quant au concept de détresse spirituelle et la réponse à y apporter : le spiritual care.

Douleurs

La douleur physique est bien connue, avec sa chaîne de transmission spécifique de la périphérie des tissus jusqu’ aux centres d’ intégration dans le cerveau. Les zones principales y sont bien sûr sensori-motrices dans les aires pariétales, mais aussi dans le cortex préfrontal pour sa prise de conscience et dans le cortex cingulaire antérieur pour l’ intégration affective en relation avec les régions sous-corticales du cerveau des émotions.

Cette anatomie fonctionnelle explique bien l’ intrication psychosomatique des syndromes douloureux. Les somatisations et les troubles somatoformes douloureux témoignent de cette complexité et donnent quotidiennement beaucoup de difficultés aux cliniciens.

La douleur psychique est fréquente en psychiatrie, apparaissant comme une forme grave du deuil et de la mélancolie. L’ imagerie fonctionnelle montre une mobilisation des zones sous-corticales. La douleur morale et le sentiment d’ indignité peuvent prendre un aspect délirant et provoquer une idéation suicidaire.

La douleur psycho-sociale a pu être démontrée plus récemment dans les situations d’ exclusion sociale, d’ isolement et de marginalisation. Ce sont alors les zones de la douleur relationnelle dans le cortex cingulaire antérieur qui prédominent.

Plus récemment, la recherche s’ est penchée sur les neurosciences de la spiritualité. Le cerveau spirituel est composé de très nombreux circuits cortico-sous-corticaux, responsables de donner du sens à l’ existence et une vision du monde qui donne du sens à la vie. Si le besoin de sens n’ est pas satisfait, on assiste alors à la détresse spirituelle, douleur existentielle. Ses symptômes sont la dépression, l’ agression et l’ addiction.

On retiendra donc que les douleurs utilisent les mêmes circuits et zones du cerveau, mais à des niveaux d’ organisation différents, en fonction de l’ organisation interne du sujet et de son rapport à l’ environnement, surtout relationnel et culturel.

Spiritualité

Dès l’ apparition des premiers humains et de la conscience réflexive, les premières communautés humaines doivent affronter l’ angoisse face aux mystères du monde, au mal et à la souffrance. Ce sera le rôle des chamanes de voir l’ invisible, par la transe, la conscience modifiée et les psychédéliques. Ils sont des passeurs de mondes, des guérisseurs à la fois prêtres et médecins. La médecine moderne a été fondée par Hippocrate, dont on oublie souvent qu’ il était prêtre d’ Asclépios, dieu guérisseur. Les Celtes pratiquaient la médecine des druides, et nous ont laissé leurs blouses blanches. Le Siècle des Lumières nous a propulsés dans le rationalisme, et la psychanalyse a contribué à désenchanter le monde.

Cependant, le besoin de sens continue d’ habiter nos patients et le regain d’ intérêt pour les spiritualités auquel nous assistons actuellement en témoigne.

Qu’ en dit la science ? De nombreuses études, principalement nord-américaines, ont démontré l’ impact favorable de la spiritualité sur la santé, tant pour la prévention que pour le rétablissement. Dans le champ des addictions, on retient l’ efficacité du mouvement des Alcooliques Anonymes, un mouvement spirituel mais non religieux. Fondé sur le lâcher-prise et à la remise à une Puissance supérieure, ses groupes constitués de millions d’ adhérents, AA reconstruit une sobriété existentielle et une solidarité exemplaire entre ses membres. De grandes études evidence based ont montré une efficacité équivalente, voire supérieure pour certains sous-groupes, aux principales formes de psychothérapies.

Ces dernières années, la recherche neuroscientifique a étudié les effets de la méditation sur le cerveau. Sous l’ impulsion de scientifiques d’ obédience bouddhiste, on a pu en montrer les effets bénéfiques sur la santé physique et mentale, par l’ acquisition d’ une plus grande souplesse aussi bien cognitive qu’ affective. En effet le sujet apprend à éloigner les préoccupations tant du passé que de l’ avenir et se concentre sur l’ instant présent, pouvant aller jusqu’ à un sentiment océanique ou à la vacuité. La pratique régulière de la méditation active la plasticité neuronale et provoque des changements durables dans la conscience et les comportements. La forme occidentalisée, la mindfulness, est maintenant d’ un usage courant en médecine et en psychiatrie.

La méditation a donc un effet unitif avec l’ univers, mais qu’ en est-il de la prière ? Les travaux d’ imagerie cérébrale ont montré des effets semblables à ceux de la méditation, à la différence importante que la prière recrute en plus le cerveau relationnel et du langage. En effet, le sujet s’ adresse à la Puissance supérieure telle que définie dans sa culture et installe un dialogue avec elle, que nous pouvons appeler un objet spirituel (ou virtuel). Dès lors il apparaît une instance régulatrice entre le sujet et lui-même, c’ est la fonction du Tiers, chère aux psychanalystes. Le sujet n’ est plus seul, il construit du sens.

Le sociologue médical Aaron Antonovsky a été déporté à Auschwitz. Il a observé la vie dans le camp et en a déduit que l’ être humain a un besoin de cohérence, définie comme la capacité de comprendre le monde, de gérer sa vie avec l’ aide de ce monde ou non, et de voir que ce qui arrive a du sens. La cohérence est le fondement de la salutogenèse, qui, à l’ inverse de la pathogenèse, cherche des attracteurs de sens et de santé dans le futur des patients.

Le neurologue et psychanalyste Viktor Frankl, contemporain de Freud, a également été déporté à Auschwitz avec toute sa famille. Seul survivant, il analyse la vie dans le camp et en tire des conclusions sur l’ humain et son besoin de sens. Pour Frankl, il existe un inconscient spirituel, et son refoulement produit une névrose de civilisation, caractérisée par le vide existentiel, dont les symptômes sont la dépression, l’ agression et l’ addiction. A son retour à Vienne, il pose les fondements d’ une thérapie par le sens, la logothérapie. Cette analyse existentielle offre au patient une réflexion thérapeutique sur ses raisons de vivre, par le moyen de l’ autodistanciation et de l’ autotranscendance.

Ces deux penseurs font partie des pionniers de ce qu’ on appelle dorénavant le spiritual care.

Spiritual care

L’ accompagnement religieux des malades a une longue tradition en Occident. Les différents rapports entre les Églises et les hôpitaux ont fortement évolué, notamment face au raccourcissement des durées de séjour, mais aussi face à la mondialisation et à la diversité spirituelle et religieuse. Dorénavant on parle d’ accompagnement spirituel ( l’ anglais « care » est plus large que le mot « soin ») et non plus d’ aumônerie. Les accompagnants spirituels (de toute origine confessionnelle) sont formés à accueillir toute demande au niveau de la question du sens. Il s’ agit d’ une évolution importante, favorable à l’ interdisciplinarité au lit du malade.

Des questionnaires brefs et faciles à administrer se sont développés en quelques questions investiguant la spiritualité des patients et peuvent intégrer l’ anamnèse (ex. : HOPE questionnaire). Des expériences d’ intégration des accompagnants spirituels sont en cours en Suisse romande dans les consultations multidisciplinaires de la douleur.

Conclusion

Dès lors, il est impératif dans une véritable médecine de la personne de tenir compte des trois ordres de la douleur et de la souffrance : physique, psychique et spirituelle.

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Pr Hon. Jacques Besson

Faculté de biologie et de médecine
Université de Lausanne
Rue du Bugnon 21
1005 Lausanne

L’ auteur n’ a pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.

Integrating Spirituality into Treatment. William R. Miller, APA Press, Washington 1999
Religion and Psychiatry ; Beyond Boundaries. Peter J. Verhagen et al,
Wiley-Blackwell, WPA, Oxford 2010
Principles of Neurotheology. Andrew B. Newberg, Ashgate, New York 2010
Spiritualité en milieu hospitalier. Pierre-Yves Brandt et Jacques Besson et al, Labor et Fides, Genève 2016
Addiction et spiritualité. Jacques Besson, Erès, Toulouse 2017
Clinique du sens. Elisabeth Ansen Zeder, Pierre-Yves Brandt et Jacques Besson, Archives contemporaines, Paris 2020

la gazette médicale

  • Vol. 11
  • Ausgabe 6
  • November 2022