- Nouveautés concernant le diagnostic et le traitement des céphalées en grappe
Bien que les céphalées en grappe soient les troisièmes céphalées primaires les plus fréquentes, elles sont presque négligées ou inconnues. Cela semble parfois incompréhensible, car ces céphalées présentent un phénotype extrêmement pathognomonique ainsi que des formes particulières. Le nom vient en effet du fait que les crises de maux de tête, plutôt brèves, surviennent généralement de façon brutale « en amas » – en anglais « cluster » -, souvent suivant un schéma saisonnier. Avec une prévalence de 1 pour 1000, la Suisse compte pratiquement autant d’habitants touchés par ces céphalées que par la sclérose en plaques.
Even though cluster headaches are the third most common primary headache, they are a bit neglected or unknown. This seems sometimes incomprehensible, since these headaches have an extremely pathognomonic phenotype as well as specific patterns. Indeed, the name comes from the fact that the rather short-lasting headache attacks usually occur in clusters, not infrequently with a seasonal pattern. With a prevalence of 1 per 1000, virtually the same number of residents in Switzerland are affected as by multiple sclerosis.
Key Words: cluster headache, primary headache, headache diagnosis & treatment
La douleur provoquée par les céphalées en grappe est considérée comme l’ une des plus intenses qui soient et suscite même des idées suicidaires chez certains patients, raison pour laquelle on parle également de « suicidal headache » dans les pays anglophones. La nette surreprésentation chez les hommes, de 4 à 8 versus un cas chez les femmes, a été quelque peu corrigée à la baisse par des études épidémiologiques menées ces dernières années. Le fait que près de 90% des patients fument ou ont fumé reste cependant un phénomène non expliqué jusqu’ à présent.
La cause n’ est pas entièrement élucidée ; un dysfonctionnement de l’ hypothalamus, du ganglion parasympathique sphénopalatin ou du système trigéminovasculaire joue certainement un rôle. Comme pour la migraine, le neurotransmetteur PRGC (peptide relié au gène calcitonine, en anglais : CGRP, Calcitonin Gene-Related Peptide) semble jouer un rôle important dans l’ apparition de la douleur.
Diagnostic
Le diagnostic des céphalées en grappe repose, comme pour toutes les céphalées (primaires), sur une anamnèse approfondie, un examen physique neurologique et, le cas échéant, sur d’ autres diagnostics d’ exclusion. En particulier lors de la première apparition, en cas de présentation atypique ou, de manière générale, en présence de symptômes d’ alerte (“red flags”, (1)), une imagerie est certainement justifiée. L’ imagerie par résonance magnétique s’ impose en premier lieu.
L’ aspect (phénotype) est extrêmement typique et se distingue nettement des céphalées de tension et de la migraine (tableau 1). Les douleurs sont strictement unilatérales, généralement localisées autour de l’ œil et durent en moyenne une à deux heures en l’ absence de traitement – ou en cas de traitement insuffisant. Les crises elles-mêmes peuvent survenir plusieurs fois par jour et les patients se réveillent très souvent la nuit à cause de la douleur. Pendant la crise, des symptômes trigémino-autonomiques ipsilatéraux apparaissent : œil rouge et larmoyant (lacrymation, injection conjonctivale), gonflement des paupières, congestion nasale ou rhinorrhée. Contrairement aux migraineux qui, en raison de leur hypersensibilité marquée aux stimulations sensorielles recherchent le plus souvent le calme et l’ obscurité, les patients atteints de cluster font état d’ agitation ou de troubles. Il est également possible qu’ il existe des formes mixtes, certainement des comorbidités ou des symptômes qui se chevauchent (2).
L’ International Headache Society (IHS, ICHD-3, en français : Société internationale des céphalées, SIC) a défini des critères de diagnostic spécifiques pour les céphalées en grappe (tab. 2). En outre, on distingue une forme épisodique et une forme chronique, selon si les phases de maux de tête (épisodes, « bouts ») durent seulement quelques semaines ou mois, ou plus de 9 mois sans interruption.
Une étude récente a développé un questionnaire de dépistage, appelé SMARTED-Scale, avec cinq questions clés : SMoking, Awakening, Restlessness, TEaring, Duration. Si les patients avaient fumé, étaient réveillés la nuit par les crises de douleur, rapportaient une agitation pendant les douleurs, un œil larmoyant et une durée de trois heures maximum, il en résultait une sensibilité de 98% et une spécificité de 65% (3).
Traitement
Le traitement des céphalées en grappe n’ est pas toujours facile et nécessite une approche individuelle. Il existe différentes options qui peuvent être essayées en fonction de la sévérité des symptômes, de la forme (épisodique ou chronique) et de la réponse du patient au traitement. Les différentes possibilités de traitement sont décrites ci-dessous et sont toujours actualisées dans les recommandations thérapeutiques de la Société suisse des céphalées (4).
Traitement aigu
Le traitement aigu a pour but de stopper ou d’ atténuer les douleurs le plus rapidement possible. Pour l’ oxygénothérapie à haute dose (7-15 l/min pendant 10-15 min), les céphalées en grappe ont été récemment intégrées comme indication dans la LiMA. Malheureusement, les Ligues pulmonaires cantonales ne prennent plus toutes en charge le conseil et les soins aux patients. SOS Oxygène offre une alternative possible dans toute la Suisse.
Sur le plan médicamenteux, les triptans à action rapide constituent le premier choix : sumatriptan* 10-20mg par voie nasale ou 6mg s.c. ou zolmitriptan 5mg par voie nasale. Les petites molécules antagonistes des récepteurs du peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP), étant plus récentes, n’ ont pas encore été suffisamment étudiées. Les anesthésiques locaux sous forme de spray nasal ou de gouttes locales offrent une possibilité plus expérimentale. La stimulation transcutanée du nerf vague a fait l’ objet d’ études positives et a déjà été approuvée par la FDA aux États-Unis. Des appareils de stimulation correspondants sont également partiellement disponibles en Suisse.
Prévention
L’ infiltration locale du nerf grand occipital représente également une possibilité efficace et sûre (6). Le principal problème réside dans les effets secondaires à long terme des corticoïdes, qui ne permettent pas un traitement continu.
Différents médicaments sont recommandés comme prophylaxie médicamenteuse à long terme : Le vérapamil, le topiramate (100-200mg), la mélatonine (10mg) ou le lithium peuvent être utilisés. Ces médicaments ont des modes d’ action différents et peuvent être choisis individuellement en fonction de la gravité de la maladie et de la tolérance. Pour le vérapamil, des contrôles réguliers de l’ ECG sont recommandés et il n’ est pas rare que des doses assez élevées (>480mg/d) soient nécessaires. Le lithium doit être ajusté en fonction du taux sérique.
De grandes études ont été faites (pour la première fois) investiguant les nouveaux anticorps concernant le système CGRP en cas de céphalées en grappe épisodiques ainsi que chroniques. Une seule de ces études a révélé des résultats positifs, ce qui n’ a pas suffi jusqu’ à présent aux autorités européennes de réglementation des médicaments pour que ces derniers soient pris en charge par les caisses-maladie (7,8). Pour certains patients sélectionnés, ces médicaments peuvent tout à fait représenter une option de traitement. Une réponse peut généralement être observée rapidement, c’ est-à-dire après quelques semaines déjà, ce qui peut être utile pour une prise en charge des coûts selon l’ art. 71 OAMal.
Procédés neuromodulateurs
La stimulation vagale, déjà mentionnée, a également montré des effets préventifs dans les études. La stimulation cérébrale profonde (SCP) n’ est pratiquement plus utilisée en raison du taux de complications plus élevé. Pendant un certain temps, la stimulation invasive du ganglion sphénopalatin (GSP) a constitué une bonne option thérapeutique, mais cette thérapie n’ est plus disponible depuis la faillite de l’ entreprise. La stimulation du nerf occipital reste une option pour les céphalées en grappe chroniques réfractaires. Une étude néerlandaise publiée récemment a montré des effets positifs à long terme et une bonne acceptation par les patients, de sorte que l’ intervention a été intégrée dans l’ assurance maladie (9). Une certaine ambiguïté subsiste, car la stimulation « sham », qui devait servir de contrôle, a également montré un effet.
Autres formes de thérapie
Lorsque les thérapies standard ne sont pas efficaces, il est évident que les patients essaient de nombreuses autres thérapies en rapport avec cette maladie douloureuse grave. Il vaut certainement la peine de conseiller les patients à ce sujet, notamment pour prévenir d’ éventuels effets secondaires nocifs. Il n’ y a pas encore de preuves scientifiques pour les médecines alternatives et complémentaires. En revanche, on trouve des travaux prometteurs, mais encore expérimentaux, sur les substances hallucinogènes comme la psilocybine ou le LSD (10, 11). Il existe de premières indications selon lesquelles ces substances sont en mesure de soulager les céphalées en grappe en influençant le cerveau et en réduisant la sensibilité à la douleur. Il est toutefois important de souligner qu’ en raison de leur nature illégale et de leurs effets indésirables potentiels, l’ utilisation de substances hallucinogènes ne constitue pas encore une option thérapeutique établie et que des recherches supplémentaires sont nécessaires dans ce domaine.
*Indications pour les céphalées en grappe ne sont pas données dans la littérature professionnelle (réd.).
Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 03_2023
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◆ Il existe de nombreuses approches thérapeutiques différentes pour les céphalées en grappe. Il reste important que le diagnostic soit correctement posé et que le traitement soit adapté individuellement au patient, car chaque patient peut réagir différemment aux différentes options.
◆ La Société suisse des céphalées (SSC) prépare actuellement, avec le soutien de la Fondation Werner Dessauer, un registre des patients souffrant de céphalées en grappe, ce qui pourrait à l’ avenir fournir des informations importantes sur le diagnostic, la gestion des douleurs et les options thérapeutiques.
1. Do TP, Remmers A, Schytz HW, Schankin C, Nelson SE, Obermann M, Hansen JM, Sinclair AJ, Gantenbein AR, Schoonman GG. Red and orange flags for secondary headaches in clinical practice: SNNOOP10 list. Neurology. 2019;92(3):134-44. doi: 10.1212/WNL.0000000000006697.
2. Chwolka M, Goadsby PJ, Gantenbein AR. Comorbidity or combination – more evidence for cluster-migraine? Cephalalgia. 2023;43(1):3331024221133383. doi: 10.1177/03331024221133383.
3. Pohl H, Joos M, Neumeier MS, Stattmann M, Gantenbein AR, Wegener S. 2023. “Screening for Cluster Headache-Introduction of the SMARTED Scale” Clin Transl Neuroscience. 2023;7(1):1. doi: 10.3390/ctn7010001.
4. Gantenbein A, Palla A, Sturzenegger M. SKG-Therapieempfehlungen für primäre Kopfschmerzen. Swiss Med Forum. 2020;20(1112):182-3. doi: 10.4414/smf.2020.08466.
5. Obermann M, Nägel S, Ose C, Sonuc N, Scherag A, Storch P, Gaul C, Böger A, Kraya T, Jansen JP, Straube A, Freilinger T, Kaube H, Jürgens TP, Diener HC, Katsarava Z, Kleinschnitz C, Holle D. Safety and efficacy of prednisone versus placebo in short-term prevention of episodic cluster headache: a multicentre, double-blind, randomised controlled trial. Lancet Neurol. 2021;20(1):29-37. doi: 10.1016/S1474-4422(20)30363-X.
6. Gantenbein AR, Lutz NJ, Riederer F, Sándor PS. Efficacy and safety of 121 injections of the greater occipital nerve in episodic and chronic cluster headache. Cephalalgia. 2012;32(8):630-4.
7. Dodick DW, Goadsby PJ, Spierings ELH, et al. Safety and efficacy of galcanezumab in patients with episodic cluster headache: a randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet Neurol. 2019;18(6): 476-86. doi: 10.1016/S1474-4422(19)30048-3.
8. Pohl H, Holle-Lee D, Broicher SD, Schwerdtner I, Gantenbein AR, Gaul C. Galcanezumab bei episodischem und chronischem Clusterkopfschmerz [Galcanezumab for episodic and chronic cluster headache]. Schmerz. 2022. doi: 10.1007/s00482-022-00648-8.
9. Wilbrink LA, de Coo IF, Doesborg PGG, Mulleners WM, Teernstra OPM, Bartels EC, Burger K, Wille F, van Dongen RTM, Kurt E, Spincemaille GH, Haan J, van Zwet EW, Huygen FJPM, Ferrari MD; ICON study group. Safety and efficacy of occipital nerve stimulation for attack prevention in medically intractable chronic cluster headache (ICON): a randomised, double-blind, multicentre, phase 3, electrical dose-controlled trial. Lancet Neurol. 2021;20(7):515-25.
10. Schindler EA, Gottschling C, Weil MJ, Shapiro RE. Psilocybin for the treatment of cluster headaches. Neurol Sci. 2015;36(12): 2363-5. oi: 10.1007/s10072-015-2346-2.
11. Sewell RA, Halpern JH, Pope HG. Response of cluster headache to psilocybin and LSD. Neurology. 2006;66(12): 1920-2. doi: 10.1212/01.wnl.0000219761.05466.43.
la gazette médicale
- Vol. 12
- Ausgabe 3
- Mai 2023