- Pléthore
L’ origine de la vie ne s’ explique pas par la science, éventuellement aidée du hasard. « La dynamique du cosmos et son évolution sont fondées sur la physique quantique (la matière est à la fois onde et corpuscule) : trou noir, naissance des étoiles et expansion de l’ Univers. Par contre elle n’ a pas encore contribué à la compréhension de la conscience et de la vie » (1).
La source de la vie ne se comprend pas davantage par les écrits religieux « relatant des phénomènes proches de la science-fiction, à l’ exemple de la Bible qui décrit la résurrection de Jésus ou le réveil de Lazare du monde des morts » (2).
Certes, la création de la Terre et de l’ Homme rapportée dans le livre de la Genèse ne convainc aucun esprit rationnel mais un précepte « croissez et multipliez, remplissez la terre » a été suivi au-delà de toute espérance : environ 250 millions d’ êtres humains peuplent la Terre à la naissance du Christ, 7,6 milliards en 2019 et probablement 10 milliards en 2050 (ONU). Leur augmentation quotidienne est estimée à 250 000 unités en dépit des catastrophes naturelles, des épidémies et de nombreux foyers de guerre et des famines qui en résultent.
Quo usque tandem ?
Un diagnostic médical ne relève d’ aucune appartenance politique ou religieuse. Dans le même esprit de neutralité, certains signes autorisent à poser un autre diagnostic, plus global celui-ci : notre planète souffre de surpopulation.
En de nombreux endroits croissent des mégapoles, souvent bordées de bidonvilles dont les habitants luttent pour la survie. Les logements manquent, les parcs de stationnement aussi. Le transport routier, ferroviaire, aérien et maritime s’ accroît de façon exponentielle, nécessitant d’ agrandir autoroutes, gares, aéroports et bateaux. Les paquebots d’ aujourd’ hui tiennent davantage d’ un immeuble locatif flottant (fig. 1) en comparaison de nos élégants vieux transatlantiques (fig. 2).
Des « mégaconcerts » rassemblent une pléiade de jeunes incultes que la « musique » véhiculée par des acteurs agités fait basculer dans l’ hystérie collective. « La preuve du pire c’ est la foule » (Sénèque, entre 4 av. J.-C. et 1 après J.-C. - 65). De gigantesques stades de tous sports résonnent d’ une bruyante multitude venue encourager des joueurs aux énormes revenus : panem et circenses depuis plus de 2000 ans. Aujourd’ hui, les jeux rapportent assurément plus que le pain ne coûte !
Le tourisme de masse pollue des endroits autrefois préservés et d’ innombrables déchets non dégradables encombrent la surface terrestre et les océans. Dans nos contrées dites riches et pourtant fortement endettées, chaque période de congés ou de vacances voit des centaines de milliers de quidams, tels les saumons remontant les rivières pour se reproduire, se bousculer sur terre ou dans les airs vers la destination de leurs loisirs auxquels ils ont droit, ou du moins le pensent-ils. La réflexion de Blaise Pascal (1623-1662) prend alors un caractère prophétique : « Tout le malheur des hommes vient d’ une seule chose, qui est de ne savoir pas se tenir en repos dans une chambre » (3).
La transition démographique (les taux de natalité et de mortalité élevés d’ une nation deviennent progressivement faibles), dont il est attendu qu’ elle finisse par atteindre tous les pays de la planète, ne devrait toutefois pas empêcher l’ augmentation de la population mondiale à l’ avenir en raison du phénomène de l’ héritabilité de la fécondité (4). A l’ appui de cette projection, l’ Afrique, empreinte de polygamie, qui exporte des migrants et dont le peuplement devrait doubler d’ ici 30 ans. L’ Inde n’ est pas en reste et la Chine vient d’ autoriser 2 enfants par couple au lieu de 1 précédemment.
La limite vient, non pas de l’ Homme, mais de notre globe qui à la fois souffre et se rebelle contre le trop plein et le pillage dont il est l’ objet. Arrive le réchauffement climatique avec ses potentielles dramatiques conséquences, réalité sacrifiée par certains sur l’ autel de la prospérité économique : « … il se pourrait tout à fait qu’ il soit trop tard demain et que les écosystèmes s’ effondrent, entraînant la disparition de la plupart des êtres vivants. L’ humanité dans son ensemble est aujourd’ hui confrontée à l’ une des décisions les plus difficiles de son histoire » (5).
Une analyse de 148 propositions de réduction de l’ empreinte carbone individuelle dans les pays développés (UE, USA, Canada, Australie) identifie de nombreuses mesures peu efficaces mais généralement encouragées tandis que 4 actions à fort potentiel de diminution d’ émission de CO2 – régime végétarien, éviter les voyages en avion, vivre sans voiture, avoir un enfant de moins
(en ordre d’ impact croissant) – ne font que rarement l’ objet de recommandations gouvernementales ou de messages éducatifs pour les adolescents. Avoir un enfant de moins diminuerait environ 20 fois plus l’ empreinte carbone à l’ origine du réchauffement climatique que vivre sans voiture (6, 7). « La mesure de loin la plus efficace, à savoir se restreindre en matière de procréation, celle-là est exemptée de tout appel à la responsabilité individuelle, au nom d’ un droit illimité à procréer » (8).
Entre autres défenses de ce droit, on ne peut ignorer la position de l’ Eglise, opposée à la contraception et à l’ IVG (cette dernière interdite en mai 2019 par l’ Etat de l’ Alabama !), comme d’ ailleurs le sont, à quelques nuances près, les religions musulmane et judaïque. Le pape et ses homologues d’ autres obédiences porteraient-ils une once (apostolique !) de responsabilité dans le dérèglement du climat ?
Voilà qui jette un certain éclairage sur la PMA et, a fortiori, sur la GPA, tandis que tant d’ enfants abandonnés ou orphelins seraient comblés par un foyer qu’ ils ne peuvent même pas imaginer.
Tout le règne animal est marqué par l’ instinct de conservation de l’ espèce qui pousse à la reproduction. L’ Homme n’ y échappe pas mais, par un dramatique paradoxe, plus il se reproduit et plus sont en voie de disparition de nombreuses espèces animales et peut-être, in fine, la sienne. La Nature (ou Dieu ou le hasard) a lié, non sans une certaine perversité, la procréation au plaisir. Dans son incommensurable imagination, elle eût pu dissocier l’ une de l’ autre avec comme possible conséquence une natalité moindre voire une extinction de l’ Humanité. Il n’ en fut rien. « A la cadence supposée de deux rapports sexuels par semaine, il en a fallu 2399200000000 pour obtenir 7,5 milliards d’ êtres humains » (9).
C’ est un lieu commun d’ affirmer que chaque vie est unique et qu’ elle a, parmi toutes les autres, sa valeur. Est-ce une raison de mettre au monde tant et tant d’ individus auxquels la banalité et la ressemblance vont servir de dénominateur commun ? Quel est le sens de cet incontrôlable emballement qui forcément fait prévaloir la quantité sur la qualité ? En quoi est-il nécessaire ? La vie est un bien trop précieux pour qu’ on la donne sans réflexion ni retenue parce que les humains le veulent, la nature le permet et la religion l’ encourage.
Voici ce qu’ écrivaient il y a 50 ans déjà, dans leur satirique analyse de notre civilisation, Laurence Peter (1919-1990) et Raymond Hull (1919-1985) : « L’ homme s’ est élevé dans la hiérarchie thérapeutique … jusqu’ à la médecine et la chirurgie modernes. Il fabrique maintenant des pièces détachées humaines, naturelles ou synthétiques. Ce pas en avant est une promotion qui le fait passer de guérisseur à créateur. Mais, devant la menace d’ une explosion démographique et d’ une famine générale, l’ homme a-t-il vraiment besoin de cette promotion ? » (10).
De cette croissance populationnelle on parle moins que de la croissance économique qui obsède Etats et particuliers.
Une énorme disparité frappe les habitants de notre Terre dont 1 % possèdent plus que les 99 % restant (11). 2018 bat le record mondial de réfugiés : 78 millions dont la moitié sont des enfants. Pendant que les armes ou la faim tuent nombre d’ entre eux, d’ indécents milliardaires étalent leur « réussite » matérielle. Le « Rabbit » de Jeff Koons (né en 1955), moulage en acier d’ un lapin gonflable, vendu pour 91,1 millions de dollars à New-York le 15 mai 2019, illustre le niveau de bêtise et la perte de repère affectant certains milieux.
Le montant de la dette publique et privée globale est passé de 115 900 milliards de dollars en 2007 à 184 000 milliards de
dollars en 2017 (12). La dette des pays riches est colossale et ne sera à l’ évidence jamais remboursée. L’ équation semble simple : plus les taux sont bas, plus la dette augmente et plus elle s’ accroît, moins les taux peuvent remonter (13). En dépit des multiples déclarations de politiques ou de prétendus experts, plus personne ne contrôle la situation dont profite une minorité. Le chômage plombe la jeunesse croissante d’ Etats qui, paradoxalement, font appel à des
travailleurs étrangers.
Dans les pays développés, le vieillissement de la population, à la fois victoire et menace, inquiète l’ économie : trop de retraités « coûteux » par rapport aux actifs. On encourage donc la natalité et on se réjouit de l’ apport de forces vives venues de l’ extérieur. Mais qu’ on ne s’ y trompe pas : l’ expansion démographique, bien que moindre, y est réelle et les jeunes productifs d’ aujourd’ hui devenant vieux à leur tour, il en faudra de nouveaux pour les assumer demain. Sauf un cataclysme imprévu mais toujours possible, il n’ y a aucune raison que le phénomène s’ arrête.
Et voilà que l’ Homme, mû par une alchimie de savoir scientifique, de curiosité et de vanité, envisage de s’ exporter sur d’ autres astres, longs voyages pourtant dérisoires en regard de l’ immensité de l’ Univers.
Le philosophe français Luc Ferry (né en 1951) distingue une première mondialisation (16ième – 18ième siècle), celle de la révolution scientifique, portée par un « gigantesque projet de civilisation », d’ une deuxième mondialisation (19ième – 21ième siècle), « essentiellement compétitive ». « Pour des raisons essentielles, structurelles, l’ histoire née de la deuxième mondialisation échappe presque intégralement à l’ emprise des politiques nationales. Jamais sans doute le monde n’ aura été aussi opaque, aussi imprévisible qu’ aujourd’ hui, parce que nous ne savons ni où nous allons, ni pourquoi nous y allons » (14).
En 1919, au sortir de la première guerre mondiale, Paul Valéry (1871-1945) fait déjà un diagnostic aussi saisissant que lucide : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’ empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles, avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et … leurs dictionnaires. … Et nous voyons maintenant que l’ abîme de l’ histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’ une civilisation a la même fragilité qu’ une vie » (15). C’ était il y a 100 ans et la population mondiale n’ était « que » d’ environ 1,7 milliard d’ individus.
Les astrophysiciens prédisent, dans un avenir lointain mais de façon certaine, l’ extinction du soleil et avec lui celle de l’ Humanité. Il se pourrait cependant que cette dernière se soit auto-détruite avant, comme si le génome humain contenait un gène encore non identifié, celui de sa « disparition programmée » !
« Notre court passage sur une planète banale tournant autour d’ une étoile ordinaire ne sera qu’ un épisode insignifiant au sein d’ une immense histoire ; il ne laissera guère de trace. L’ univers nous ignore » (16).
Mais l’ Univers ne sait pas qu’ il existe, contrairement à l’ Homme, à ce jour seul et périssable témoin de son existence.
Cardiologue FMH
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