Les médecins généralistes rencontrent régulièrement des patients souffrant de troubles du sommeil dans leur cabinet. Les patients se plaignent le plus souvent de fatigue, de somnolence, de difficultés à s’ endormir ou à rester endormi, ou d’ un réveil précoce. Avec une prévalence globale d’ environ 44% dans les cabinets de médecine générale suisses, les troubles du sommeil sont une maladie fréquemment rencontrée (1).
Tout d’ abord, il est important de clarifier les termes avec le patient : la fatigue diurne décrit une fatigue mentale et physique précoce, tandis que la somnolence diurne décrit une forte tendance à s’ endormir à des moments inappropriés. Les causes des troubles du sommeil sont multiples et requièrent une approche systématique afin de pouvoir établir un diagnostic et d’ initier un traitement adapté (fig. 1).
Anamnèse du sommeil
En plus d’ une anamnèse complète, tenant compte des médicaments pris et de la situation professionnelle (travail posté, charge de travail quotidienne/hebdomadaire), un agenda du sommeil sur 2 semaines constitue une première étape diagnostique. Il convient de reprendre avec le patient le déroulé d’un cycle de 24 heures et de recueillir les éléments suivants : heures de coucher et de lever, latence d’ endormissement, sensations désagréables ou mouvements des jambes au repos, durée d’ éveil, la fréquence des visites aux toilettes, le temps de latence pour s’ endormir après s’ être réveillé pendant la nuit, les rêves pénibles et les rêves agités (2). Une durée de sommeil allongée de plus de 90 minutes pendant le week-end comparativement à la semaine fournit des indications d’ une éventuelle insuffisance de sommeil.
Les commentaires d’ un ou d’ une partenaire fournissent également des indications importantes : ronflement, pauses respiratoires nocturnes et mouvements pendant le sommeil. Alors que les parasomnies comme le somnambulisme et les terreurs nocturnes affectent jusqu’ à 10 % des enfants (3), des comportements anormaux pendant le sommeil, tels que la réalisation des rêves chez les adultes doivent être clarifiés par un spécialiste du sommeil.
L’ anamnèse du sommeil est complétée par le recueil des antécédents médicaux (maladies chroniques, douleurs). De nombreux médicaments perturbent le sommeil ou sont sédatifs et peuvent ainsi provoquer une somnolence diurne (tab. 1). En outre, les valeurs des fonctions hépatiques et rénales, les paramètres du bilan martial, y compris la ferritine, la vitamine D, la tension artérielle, le TSH, le poids et la taille du corps doivent être déterminés. Un examen rapide de la gorge donne une indication de l’ étroitesse des voies aériennes supérieures. Ceci, associé à un tour de cou important rend la présence de troubles respiratoires liés au sommeil plus probable (4, 5).
Le patient insomniaque
Une grande partie des patients souffrant de troubles du sommeil et de l’ éveil se plaignent de difficultés à s’ endormir, à dormir toute la nuit ou d’ un réveil précoce. Si les symptômes persistent pendant plus d’ un mois, et si la qualité de vie en journée du patient est altérée, une insomnie peut être diagnostiquée (6). Il est important d’ évaluer l’ insomnie non seulement comme un symptôme concomitant, secondaire d’une pathologie sous-jacente, mais aussi comme une maladie diagnostiquée indépendante. En effet, une insomnie non traitée peut entraîner une dépression et l’ aggravation de comorbidités (7-9). Une étude récente montre une prévalence de 36% des symptômes d’ insomnie dans les cabinets de médecins généralistes, 11% remplissant les critères de l’ insomnie chronique (10).
À l’ aide de l’ anamnèse du sommeil, il est possible de faire la distinction entre un problème d’ insomnie chronique et un trouble du rythme circadien ou du rythme veille-sommeil (travail posté), un manque de structuration quotidienne des rythmes avec des heures de lever irrégulières et un chronotype tardif («night owl»).
Syndrome des jambes sans repos
Les troubles du mouvement liés au sommeil, tels que le syndrome des jambes sans repos (SJSR) ou des mouvements périodiques de jambes, sont des causes souvent méconnues d’ un trouble de l’ endormissement ou du maintien du sommeil (11). Les quatre critères cliniques obligatoires pour le diagnostic du SJSR sont :
(i) dysesthésies dans les jambes associées à un besoin irrésistible de bouger les jambes (ii) survenant exclusivement au repos et pendant la relaxation (iii), améliorées par le mouvement et (iv) s’ accentuant en soirée. Des antécédents familiaux de SJSR, une réponse au traitement dopaminergique et la preuve par polysomnographie de mouvements périodiques des jambes pendant le sommeil appuient le diagnostic (12). Des causes secondaires du SJSR peuvent être une carence en fer, une insuffisance rénale grave, certains médicaments (ISRS, neuroleptiques, antiémétiques et effets paradoxaux du traitement dopaminergique) ou survenir lors d’ une grossesse ; ces situations se distinguent du SJSR idiopathique. Quelle qu’ en soit la cause, une supplémentation en fer par voie orale est toujours recommandée au départ si le taux de ferritine est inférieur à 75 µg/mL.
Un traitement symptomatique supplémentaire est administré en fonction de la gravité et des comorbidités, et consiste principalement en un traitement dopaminergique ou avec des alpha-2-delta ligands (gabapentine, prégabaline). Avec ces derniers, le risque de syndrome d’augmentation (réaction paradoxale avec expansion temporelle et topographique des symptômes) est nettement plus faible (13).
Situations de stress
L’ insomnie est souvent associée à un trouble de l’ humeur ou de l’ anxiété, qui ne remplit toutefois pas les critères d’ une pathologie mentale primitive. Les cauchemars font également partie de cette catégorie :
ils doivent être pris au sérieux et peuvent être traités efficacement par Imagery Rehearsal Therapy (14). L’ indice ISI (Insomnia Severity Index) permet d’ évaluer la gravité de l’ insomnie (15). Selon les lignes directrices, une polysomnographie est uniquement recommandée en cas de suspicion d’ un trouble respiratoire sous-jacent lié au sommeil, d’une suspicion de mouvements au cours du sommeil ou s’ il n’ y a pas d’ amélioration avec le traitement (16).
Thérapie cognitivo-comportementale
La thérapie de choix pour le traitement de l’ insomnie est la thérapie cognitivo-comportementale de l’ insomnie (TCCI). Son efficacité a été démontrée à la fois à court et à long terme et chez les patients plus âgés (17). Ses éléments-clés sont la restriction du temps passé au lit (augmenter la pression du sommeil en réduisant le temps passé au lit) et le contrôle du stimulus (utiliser le lit uniquement pour dormir). Plus d’ informations sur l’ éducation au sommeil, les recommandations d’ hygiène du sommeil et les exercices de relaxation sont également enseignés. Les programmes TCCI en ligne (www.somn.io, www.ksm-somnet.ch) se sont révélés efficaces lors d’ essais cliniques (18, 19). En outre, des applications sont déjà disponibles (7Schläfer, sleepio). Une thérapie médicamenteuse peut soutenir la TCCI, mais n’ est pas recommandée pour un traitement à long terme. Les somnifères peuvent être utiles pour une intervention à court terme, d’ une durée maximale de 4 semaines. Les médicaments de type composés Z (zopiclone, zolpidem) sont préférables aux benzodiazépines classiques en raison du profil d’ effets secondaires et du potentiel de dépendance de ces dernières. Les antidépresseurs stimulant l’ endormissement, comme la trazodone, constituent une alternative efficace pour améliorer la qualité du sommeil (16). Bien que la TCCI est recommandée dans les directives, seulement 1% des patients dans les cabinets de médecine générale suisses reçoivent actuellement ce traitement (10).
Le patient hypersomniaque
La somnolence diurne excessive désigne une pression de sommeil accrue avec une tendance insurmontable à dormir pendant la journée (6). Cela entraîne une diminution des performances et de la participation dans les tâches et activités de la vie quotidienne, au travail (circulation routière) et dans la société. L’ échelle de somnolence d’ Epworth (ESS) mesure la probabilité subjective de s’ endormir dans différentes situations (20). La somnolence excessive pendant le jour est définie par un score sur l’ESS ≥ 10 (échelle de 0 à 24). La cause la plus fréquente de la somnolence diurne excessive chez les jeunes est l’ insuffisance chronique de sommeil (21, 22). En revanche, la fatigue diurne fait référence à l’ épuisement mental et physique. La fatigue peut être évaluée par le score de gravité de la fatigue (Fatigue Severity Scale, FSS) (23).
Troubles respiratoires liés au sommeil
Les troubles respiratoires liés au sommeil font partie des étiologies fréquentes de somnolence diurne excessive et de fragmentation du sommeil. Il s’ agit le plus fréquemment d’ interruptions ou de limitations de la respiration (apnées et hypopnées) pendant le sommeil. Le plus fréquent de ces troubles, le syndrome d’ apnées obstructives du sommeil est diagnostiqué lorsque l’ index d’ apnée-hypopnée (IAH) est > 15/h ou lors d’ un IAH > 5/h en plus d’ un autre symptôme typique (6) : ronflement, pauses respiratoires observées par l’ entourage, prise de poids, nycturie, bouche sèche et maux de tête. Les femmes présentent souvent des symptômes moins prononcés que les hommes (voir l’ étude de cas ci-dessous).
Chez les femmes, l’ apnée obstructive du sommeil peut se présenter de manière atypique sous forme de troubles du sommeil ou de somnolence diurne. S’ il y a une faible probabilité pré-test d’ apnée du sommeil (STOP-BANG test), une polysomnographie est recommandée. Si la probabilité pré-test est élevée, une polygraphie respiratoire ambulatoire peut être réalisée (24, 25). La polysomnographie peut également être utilisée pour différencier l’ apnée centrale du sommeil ou le syndrome d’ hypoventilation associé au sommeil. Concernant le traitement de l’ apnée du sommeil modérée à sévère (IAH > 15/h), une ventilation nocturne en pression positive continue ou, en fonction de la limitation du débit respiratoire, une orthèse d’avancée mandibulaire est recommandée. D’ autres mesures d’ accompagnement sont : la réduction du poids (une réduction de 10 % réduit de moitié l’ IAH et entraîne souvent une amélioration des symptômes (26)), l’ exercice physique régulier, l’ entraînement des muscles des voies aériennes supérieures, l’ arrêt de la consommation d’ alcool en soirée et des médicaments myorelaxants (notamment les benzodiazépines).
Hypersomnies
L’ hypersomnie centrale est un diagnostic différentiel rare mais important de somnolence diurne excessive. La narcolepsie, qui est principalement due à une réaction auto-immune contre les neurones hypocrétinergiques de l’ hypothalamus, fait partie de ce groupe de maladies. Elle se divise en deux sous-types : dans le cas de la narcolepsie de type 1 (NT1), des cataplexies surviennent en plus d’ une somnolence diurne excessive. Il s’ agit de courts épisodes de perte de tonus musculaire avec une conscience préservée, déclenchés principalement par une expérience émotionnelle claire (positive). Les autres symptômes pouvant survenir au cours du sommeil et de l’ éveil sont des paralysies du sommeil (hypnagogiques ou hypnopompiques, si elles surviennent respectivement à l’ endormissement ou au réveil), des hallucinations liées au sommeil et la fragmentation de sommeil. La détection d’ une diminution du niveau d’ hypocrétine dans le liquide céphalo-rachidien (≤ 110 pg/ml) est spécifique de la NT1. En revanche, les patients atteints de narcolepsie de type 2 ne présentent pas de cataplexies ni de taux abaissés d’ hypocrétine. Les symptômes sont moins prononcés que ceux des patients souffrant de NT1 (27, 28). Un autre sous-type important d’ hypersomnie centrale est l’ hypersomnie idiopathique, qui se caractérise par un sommeil non réparateur, de longues périodes de sommeil (> 10 heures) et une somnolence diurne excessive. Les patients présentent généralement un réveil difficile (ivresse de sommeil au réveil) et une somnolence prolongée (29). La narcolepsie de type 2 et l’ hypersomnie idiopathique sont toutes deux des diagnostics d’ exclusion et requièrent un recours à un service spécialisé en médecine du sommeil, avec polysomnographie et réalisation de tests diurnes évaluant la vigilance. Les patients bénéficient d’ un traitement par des médicaments stimulants de l’ éveil.
Livia G. Fregolente, MD
Dipl. Biol. Albrecht P. A. Vorster
Dr. med. Jurka Meichtry
Prof. Dr. med. Claudio L. A. Bassetti
Universitätsklinik für Neurologie, Inselspital Bern
Freiburgstrasse 18, 3010 Bern
claudio.bassetti@insel.ch
Article traduit de « der informierte arzt » 08-2021
Copyright Aerzteverlag medinfo
Universitätsklinik für Neurologie
Inselspital Bern
Freiburgstrasse 18
3010 Bern
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Inselspital Bern
Freiburgstrasse 18
3010 Bern
Les auteurs n’ ont déclaré aucun conflit d’ intérêts en rapport avec cet article.
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