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Impacts structurels et fonctionnels

Consommation abusive d’ alcool et cognition

La consommation abusive d’ alcool est fréquemment associée à une atteinte cérébrale et à des troubles neuropsychologiques touchant principalement les fonctions exécutives, mnésiques et de cognition sociale. Nous proposons quelques outils de dépistage de ces troubles, ainsi que les bénéfices de l’ abstinence sur les ressources cognitives.



L’  OFS définit une consommation chronique à risque d’ alcool comme la consommation dès 4 unités d’ une boisson alcoolisée par jour pour les hommes et dès 2 unités par jour pour les femmes. Cette consommation à risque touche 5 % de la population suisse et la part des personnes consommant de l’ alcool de façon quotidienne augmente avec l’ âge, engendrant diverses atteintes telle que la cirrhose alcoolique du foie, les cancers ou les troubles cardiovasculaires (1).
Selon le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux® (DSM-5), le trouble de l’ usage de l’ alcool est défini par un mode d’ usage problématique de l’ alcool conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance cliniquement significative, caractérisé par la présence, au cours d’ une période de 12 mois, d’ au moins deux critères, tels qu’ un désir de consommation persistant, des désirs infructueux pour diminuer la consommation d’ alcool ou la poursuite de la consommation d’ alcool malgré des problèmes interpersonnels ou sociaux qui en découlent (2).
Une occurrence particulière de la consommation abusive d’ alcool est le « Binge-Drinking », pattern de consommation d’ alcool souvent observé chez les adolescents et les jeunes adultes, qui est défini comme l’ augmentation de la concentration d’ alcool sanguin à un niveau de 0.08 g/dl pendant une période de 2 heures. Des études ont montré que ce pattern de consommation diminuait les capacités exécutives et attentionnelles, avec des différences notées sur le fonctionnement cérébral à l’ imagerie fonctionnelle (aux tâches exécutives, attentionnelles et mnésiques) et sur le plan structurel (diminution de la matière blanche et accélération de la réduction de matière grise) (3, 4).

Impact cérébral structurel

Les effets de l’ alcool sur le cerveau sont avérés sur le plan structurel et fonctionnel ; ils sont dépendants de différents facteurs, notamment : la quantité d’ alcool consommée, l’ âge de début de consommation, la durée de la dépendance et des facteurs démographiques tels que l’ âge, le sexe et l’ éducation (5). La consommation excessive d’ alcool engendre une réduction globale de la densité de matière blanche et une atrophie corticale généralisée (ainsi que sur le cervelet) ; deux systèmes cérébraux sont particulièrement touchés : le circuit fronto-cérébelleux et le circuit de Papez (6, 7) (fig. 1).
Le circuit fronto-cérébelleux comprend le cortex frontal, le thalamus, le pont et le cervelet, impliqué notamment dans le fonctionnement moteur (contrôle de la marche et de l’ équilibre) et exécutif.
Le circuit de Papez, quant à lui, comprend le cortex cingulaire, le thalamus, l’ hippocampe et les corps mamillaires et est impliqué notamment dans la mémoire épisodique (7). Les tableaux cognitifs des patients avec consommation excessive d’ alcool sont marqués par des atteintes des fonctions exécutives et mnésiques, mais également visuo-constructives et dans le domaine de la cognition sociale (fig. 1).

Impact sur les fonctions cognitives

Fonctions exécutives

Sous ce terme sont regroupés les processus cognitifs permettant de planifier, contrôler et monitorer des comportements orientés vers un but, ainsi que d’ adapter des comportements dans des situations nouvelles. Les sous-composants des fonctions exécutives touchés dans une situation de consommation abusive d’ alcool sont notamment : la mémoire de travail (incluant la mise à jour des informations), l’ inhibition, la résolution de problèmes, la déduction de règles et la flexibilité mentale (8, 9).

Capacités mnésiques

La mémoire comprend de multiples sous-composants. Les études ayant mesuré l’ impact de la consommation abusive d’ alcool sur les fonctions mnésiques ont retenu des déficits dans les domaines de (8, 9) :

  • La mémoire épisodique : atteinte des processus d’ encodage, de récupération, d’ identification de la source et du contexte spatio-temporel du souvenir
  • La mémoire prospective : atteinte des capacités à se souvenir de réaliser une action dans le futur
  • La mémoire autobiographique : formée de souvenirs contenus en mémoire épisodique et d’ éléments de connaissance générale sur soi-même (composante sémantique) touchant notamment les périodes de consommation

Confabulations

Les confabulations sont le souvenir d’ événements et d’ expériences qui n’ ont, en fait, jamais eu lieu. Elles sont produites de façon inconsciente (10). Les confabulations provoquées apparaissent généralement suite à une question : les réponses sont erronées mais plausibles. Les confabulations spontanées, quant à elles, apparaissent sans déclencheur et dans le contexte d’ amnésie sévère et de désorientation et ces patients ont tendance à agir conséquemment aux confabulations.

Émotions et cognition sociale

La cognition sociale regroupe les capacités à percevoir et comprendre les interactions sociales. Chez les personnes dépendantes à l’ alcool, le décodage d’ expressions faciales émotionnelles est atteint, en particulier pour les expressions faciales négatives telles que le dégoût ou la colère (8). Un autre déficit est présent dans les capacités à détecter l’ humour et l’ ironie. Certaines études ont mis en évidence des difficultés à ressentir la composante émotionnelle de l’ empathie (ressentir les émotions des autres) alors que sa composante cognitive (comprendre les états mentaux de tiers) serait préservée. Un même pattern est observé au sein de la théorie de l’ esprit (capacité à prédire, anticiper et interpréter le comportement des autres), où l’ aspect émotionnel (émotions/sentiments attribués aux autres) est altéré, mais l’ aspect cognitif (pensées, croyances et intentions attribuées aux autres) parait préservé (8). Enfin, on observe parfois un trouble nommé « alexithymie », qui désigne « l’ incapacité à identifier et décrire ses propres états émotionnels et ceux d’ autrui » (9).

Conscience des troubles

Les troubles cognitifs mesurés chez les personnes alcoolo-dépendantes ont un impact sur la conscience qu’ ils ont de leurs propres troubles, notamment sur le plan cognitif. Les troubles mnésiques les induisent à surestimer leurs capacités, car elles se basent sur leurs performances antérieures pour évaluer leurs capacités cognitives actuelles (8, 9).

Principaux syndromes liés à une consommation abusive chronique d’ alcool (11) :

1. Gayet-Wernicke : l’ encéphalopathie de Gayet-Wernicke est une atteinte neurologique aiguë, provoquée par une déficience en thiamine et caractérisée par une paralysie oculo-motrice, une ataxie et un état confusionnel. La déficience chronique en thiamine provoque différentes lésions cérébrales, qui, au cours du temps, progressent vers un syndrome de Korsakoff ou une démence alcoolique.
2. Syndrome de Korsakoff : il serait le résultat à long terme de l’ encéphalopathie de Gayet-Wernicke, avec une atteinte neurologique plus sévère menant à une atteinte mnésique très importante, perturbant les processus d’ encodage et pouvant aboutir à un syndrome amnésique.
3. Démence alcoolique : troubles de la mémoire avec autres difficultés cognitives telles qu’ une atteinte langagière, motrice, visuelle et/ou des fonctions exécutives.
La démence alcoolique, si détectée de manière précoce, et l’ encéphalopathie de Gayet-Wernicke, sont des atteintes réversibles, tout au moins en partie, si une abstinence d’ alcool est obtenue. Les dommages causés dans le syndrome de Korsakoff sont toutefois irréversibles (fig. 2).
Plus récemment, le terme «détérioration cérébrale liée à l’ alcool» (Alcohol-Related Brain Damage, ARBD) a été adopté en raison du large spectre de troubles cognitifs et neurologiques pouvant être ob-servé (12) ; le DSM-5 a également adopté une description des troubles liés à la consommation d’ alcool dans le contexte d’ un continuum.

Effets après abstinence

L’ abstinence permet fréquemment une diminution des troubles cognitifs. Le processus est toutefois lent (mois à années) et partiel. En effet, les études ont montré que les personnes récemment ab-
stinentes (32-365 jours) conservent des troubles particulièrement marqués dans les domaines de la mémoire, de la vitesse de traitement et des fonctions visuo-spatiales et exécutives. Après plus d’ une année d’ abstinence, les troubles sont généralement observables de manière moins sévère (8, 5).

Dépistage des troubles cognitifs

Le Montréal Cognitive Assessment (MoCA)

Cet outil a été développé afin de détecter des troubles cognitifs légers chez des patients avec un Mild Cognitive Impairment (MCI) et teste donc plusieurs domaines cognitifs. Il a pour avantage d’ être rapidement administré, mais comporte des sous-tests évaluant des capacités souvent préservées chez les patients alcoolo-dépendants (p.ex. la dénomination) (9). Il existe sous forme informatisée et peut être répété car il existe plusieurs versions de cette échelle.

Tester la production de confabulations

Il existe des questionnaires pour tester les confabulations, mais il est également possible d’ en «provoquer» en posant des questions du type «nous sommes-nous déjà vus aujourd’ hui ?».

Évaluer l’ impact des troubles sur la vie quotidienne

L’ Échelle d’ Activité Instrumentale de la Vie Quotidienne (IADL) (13) permet d’ estimer en 4 points le degré d’ autonomie dans la gestion de différentes tâches du quotidien (administration, médicaments, utilisation de moyens de communication et de transport).

Rôle de l’ évaluation neuropsychologique

Ces outils d’ évaluation permettent un dépistage : tout score inférieur à la norme ou cliniquement faible devrait faire l’ objet d’ une investigation neuropsychologique approfondie. L’ examen neuropsychologique permettra de quantifier les troubles cognitifs, de participer à l’ appréciation des capacités d’ autonomie et de discernement et de contribuer à une réflexion sur les mesures nécessaires au meilleur encadrement du patient. Lorsqu’ il est répété, il est également précieux pour apprécier l’ évolution des troubles dans le temps (fig. 3).

Impact des altérations cognitives sur la prise en charge

La présence de troubles cognitifs peut faire partie des facteurs provoquant une rechute. Ainsi, un lien a été mis en évidence entre les déficits mnésiques, exécutifs (difficultés à inhiber des comportements de consommation) et décisionnels des patients avec consommation d’ alcool à risque et une diminution de la motivation et des capacités à apprendre de nouvelles informations (telles que les conséquences de leur consommation sur leur santé) ou à adopter de nouveaux comportements (ce qui nécessite des ressources en termes de prise de décision et de planification) (7).

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Charlene Moser

Psychologue assistante en neuropsychologie (MAS)
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV)
Hôpital Nestlé
Av. Pierre-Decker 5
1005 Lausanne

charlene.moser@chuv.ch

Astrigh Lindemann

Psychologue adjointe spécialiste en Neuropsychologie FSP
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV)
Hôpital Nestlé
Av. Pierre-Decker 5
1005 Lausanne

astrigh.lindemann@chuv.ch

Les auteurs ont déclaré qu’ ils n’ ont aucun conflit d’ intérêt en rapport avec cet article.

  • L’ impact cérébral d’ une consommation abusive d’ alcool est avéré sur les plans structurel et fonctionnel
  • Les fonctions exécutives, mnésiques et de cognition sociale sont les principales fonctions cognitives touchées en cas de consommation d’ alcool abusive
  • Détecter les troubles cognitifs de manière précoce contribue à adapter la prise en charge et l’ adhésion aux thérapies
  • Des échelles brèves de dépistage peuvent être administrées et, en cas de score faible, orienter vers un examen neuropsychologique plus spécialisé

1. Office Fédéral de la Statistique, consulté le 02.06.2020 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/determinants/alcool.html
2. American Psychiatric Association. (2015). DSM-5 : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson.
3. Cservenka, A., & Brumback, T. (2017). The burden of binge and heavy drinking on the brain : Effects on adolescent and young adult neural structure and function. Frontiers in Psychology, 8(1111), 1-13.
4. Lees, B., Mewton, L., Stapinski, L. A., Squeglia, L. M., Rae, C. D., & Teesson, M. (2019). Neurobiological and Cognitive Profile of Young Binge Drinkers : A Systematic Review and Meta-Analysis. Neuropsychology Review(29), 357–385.
5. Crowe, S. F., Cammisuli, D. M., & Stranks, E. K. (2020). Widespread cognitive deficits in alcoholism persistent following prolonged abstinence : An updated meta-analysis of studies that used standardized neuropsychological assessment tools. Archives of Clinical Neuropsychology, 35, 31-45.
6. Maurage, P., & D’Hondt, F. (2017). Troubles cognitifs dans l’alcoolo-dépendance. Remédiation Cognitive, 281-306.
7. Cabé, N., Laniepce, A., Ritz, L., Lannuzel, C., Boudehent, C., Vabret, F., Eustache, F., Beaunieux, H. & Pitel, L. (2016). Troubles cognitifs dans l’alcoolo-dépendance : Intérêt du dépistage dans l’optimisation des prises en charge. L’Encéphale, 42, 74-81.
8. Le Berre, A.-P., Fame, R., & Sullivan, E. V. (2017). Executive functions, memory and social cognitive deficits and recovery in chronic alcoholism : A critical review to inform future research. Alcoholism – Clinical and Experimental Research, 41(8), 1432-1443.
9. Vabret, F., Lannuzel, C., Cabe, N., Ritz, L., Boudehent, C., Eustache, F., Pitel, A. & Beaunieux, H. (2016). Troubles cognitifs liés à l’alcool : Nature, impact et dépistage. La Presse Médicale, 45(12), 1124-1132.
10. Rensen, Y. C., Oudman, E., Oosterman, J. M., & Kessels, R. P. (2020). Confabulations in alcoholic Korsakoff’s syndrome : A factor analysis of the Nijmegen-Venray confabulation list. Assessment, DOI: 10.1177/1073191119899476.
11. Sachdeva, A., Chandra, M., Choudhary, M., Dayal, P., & Anand, K. S. (2016). Alocol-related dementia and neurocognitive impairment : A review study. International Journal of High Risk Behaviors and Addiction, 5(3), e27976.
12. Heirene, R., John, B., & Roderique-Davies, G. (2018). Identification and evaluation of neuropsychological tools used in the assessment of alcohol-related cognitive impairment : A systematic Review. Frontiers in Psychology(9), 1-42.
13. Lawton, M. P., & Brody, E. M. (1969). Assessment of older people : Self-maintaining and instrumental activities of daily living. Gerontologist, 9, 179-186.
14. Groupe de travail du Collège Professionnel des Acteurs de l’Addictologie Hospitalière (COPAAH), 2014. Troubles de l’usage de l’alcool et troubles cognitifs. Alcoologie et Addictologie 36 (4). 335-373