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Approche psychothérapeutique des SCPD

Les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) rendent complexe la prise en charge des patients déments. Ils témoignent d’ une souffrance intense chez le patient et pèsent sur son entourage (famille et/ou équipe de soin). Le risque est de considérer ces manifestations comme le problème du patient et de passer à côté de ce qui active et renforce la manifestation des SCPD. Nous proposons ici une perspective psychothérapeutique de la compréhension des SCPD en les considérant comme une problématique issue de l’ interaction entre le patient et l’ environnement dans lequel il évolue. De ce point de vue, la compréhension de ce qui provoque la survenue des SCPD comme la manifestation de difficultés ressenties par le patient dans ce système est la clef pour mettre en place des interventions efficaces.



The behavioral and psychological symptoms of dementia (BPSD) make the treatment of dementia patients complex. They testify to the patient’s intense suffering and place a burden on his or her environment (family and/or care team). There is a risk of considering these manifestations as the patient’s problem and overlooking them, which activates and reinforces the manifestation of BPSD. We propose here a psychotherapeutic perspective for understanding BPSD by viewing it as a problem arising from the interaction between the patient and the environment in which they live. From this perspective, understanding what causes the onset of BPSD as a manifestation of the patient’s perceived difficulties in this system is key to developing effective interventions.
Key Words: dementia, BPSD, psychology

Plus de 146’ 500 personnes sont affectées par une démence aujourd’ hui en Suisse, et ce nombre devrait doubler d’ ici 2050. Ainsi les démences représentent l’ un des plus grands défis sociaux, économiques et de santé publique actuels. En plus de l’ atteinte cognitive, les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) font partie de la présentation clinique des démences. Les SCPD, aussi dénommés symptômes neuropsychiatriques, sont définis comme des signes et des symptômes reflétant une altération de la perception, du contenu de la pensée, de l’ humeur ou du comportement (1). Les manifestations cliniques peuvent se présenter non seulement sous forme d’ apathie, dépression, anxiété, agitation et insomnie mais également sous forme d’ errance, d’ opposition aux soins, d’ agressivité et d’ idées délirantes (2, 3, 4). Ces symptômes peuvent survenir dans tous les types de démence et représentent un défi pour le patient et son entourage. Ils sont en effet associés à une détresse émotionnelle élevée, une diminution de la qualité de vie, une péjoration sur le plan fonctionnel, des hospitalisations fréquentes, un risque de négligence et/ou d’ abus, et à une mortalité plus élevée (5).

Compréhension psychologique des SCPD

Il existe différents modèles de compréhension des SCPD (6). Dans cet article nous adoptons un modèle de compréhension psychologique des SCPD qui part du postulat que les SCPD sont l’ expression d’ un besoin inassouvi. Dans cette logique, le traitement des SCPD consiste en trois étapes : 1) identifier et décrire les SPD ; 2) cerner la problématique sous-jacente à leur manifestation (identifier la souffrance du patient qui provoque les SCPD) ou en d’ autres termes, de comprendre quel est le besoin du patient sous-jacent à cette manifestation ; 3) définir des interventions à partir de cette compréhension du problème, c’ est à dire mettre en place des moyens pour combler ce manque (7). Si les moyens proposés sont pertinents, ils permettront la diminution, voir disparition des SCPD.

Identification et description des SCPD

L’ utilisation d’ instruments de cotation permet une description et une documentation précises des SCPD. Ils favorisent un suivi précis de ces manifestations tant dans la phase d’ investigation que dans l’ évaluation de l’ efficacité des mesures mises en place.
Dans cette optique les instruments de cotation suivants peuvent être une aide pour les professionnels.

  • Inventaire d’ agitation de Cohen-Mansfield ; (8)
  • Inventaire neuropsychiatrique de Cummings ; (9)
  • Nursing Home Behavior Problem Scale – version française ; (10)
  • Échelle de dépression gériatrique ; (11)
  • Échelle de Cornell (dépression associée à un trouble neurocognitif) ; (12)
  • Inventaire de l’ apathie ; (13)

Il est à noter que la plupart de ces instruments prévoit l’ évaluation par un tiers : soignant ou proche aidant.

Évaluation des SCPD

L’ évaluation des SCPD repose sur une démarche clinique et structurée qui évalue 3 domaines : l’ anamnèse passée et récente du patient, ainsi que l’ observation du patient dans son quotidien (contexte actuel). Celle présentée ici s’ inspire du document « Démarche d’ intervention clinique d’ évaluation des SCPD » développé par l’ équipe de mentorat du Centre d’ Excellence sur le Vieillissement de Québec (14).
Par ailleurs, cette évaluation peut être complétée en se référant aux neuf besoins de Boettcher : le territoire, la communication, l’ estime de soi, la sécurité, l’ autodétermination, le temps, l’ identité personnelle, le confort et la compréhension (15).

Relevons que le recueil des données anamnestiques se fera autant que possible auprès du patient. Il sera complété par un entretien avec les proches et l’ étude détaillée du dossier. Les proches et les soignants qui s’ occupent régulièrement du patient fournissent une aide précieuse dans la compréhension du patient (personnalité prémorbide, habitudes de vie, valeurs) et des observations utiles quant à ce qui se passe pour lui au niveau intrapsychique et relationnel. Enfin, l’ observation des comportements du patient en situation de soin permet d’ identifier les situations problématiques mais également des stratégies qui permettent d’ éviter le déclenchement de certains comportements.

Intervention

Il n’ existe pas d’ évidence terme à terme entre la manifestation d’ un SCPD et la réponse à lui donner. La prise en charge du patient nécessite donc de s’ adapter à chaque situation spécifiquement : il s’ agit de comprendre ce qui se passe pour lui et de répondre à cette cause. Dans une approche psychothérapeutique des SCPD, les interventions non-médicamenteuses seront privilégiées en réponses à ces difficultés. La médication psychotrope est cependant indiquée dans les cas de SCPD sévères ou réfractaires aux interventions non-médicamenteuses ainsi que dans les cas de risque imminent pour la sécurité de la personne ou d’ autrui. Pour une vue d’ ensemble sur les traitements médicamenteux nous recommandons les guidelines sur le traitement des SCPD de la Société Suisse de Psychiatrie et Psychothérapie de la Personne Âgée (SPPA)(16). Précisons que la médication est utile pour apaiser le symptôme mais ne permet pas de traiter ses causes. Seule la compréhension des raisons sous-jacentes au SCPD va permettre un traitement efficace et durable du symptôme.

La démence, en particulier lorsqu’ elle se complique par des SCPD, rend difficile l’ accès au patient. La confrontation à ces comportements induit le risque d’ oublier le patient (sa personnalité, son individualité et son parcours de vie) et, dès lors, le risque de renforcer les attitudes problématiques dont on ne cernerait pas la pertinence. Les approches non médicamenteuses ont comme postulats essentiels le respect de la dignité du patient, une vision holistique du patient allant au-delà de la maladie et l’ évitement de l’ infantilisation.

Les mesures possibles pour traiter les SCPD consistent en des interventions individuelles, ciblées sur le comportement du patient, mais également en des interventions systémiques incluant les proches et/ou les soignants afin d’ adapter l’ environnement aux besoins du patient. Le tableau ci-dessous propose une vue d’ ensemble (non exhaustive) de ces interventions.

Comme déjà indiqué précédemment, il est essentiel d’ inclure les proches et les soignants dans la démarche d’ évaluation des SCPD. Ensuite, il s’ agira de tenir informées les familles de ce qui est mis en place pour prendre en charge le patient. Les inclure tout au long de la démarche permet une compréhension partagée du problème, du projet de soins et des attentes. Cela nécessite d’ ouvrir le dialogue (en évitant un ton scolastique) : les soignants transmettent leur compréhension des SCPD et la proposent de manière ouverte aux proches. Cela ne doit cependant pas se faire à l’ exclusion patient, il est essentiel de continuer à le considérer comme un interlocuteur malgré ses pertes cognitive ; il reste en effet le premier concerné par les décisions prises (placement, changement de traitement, adaptation de l’ environnement). Il s’ agira de l’ inclure dans les échanges : l’ informer des décisions et le préparer aux changements). Dès lors, il est souhaitable de prévoir des entretiens de soutien psychologique et d’ information (entretiens de réseau par exemple) qui incluent aussi bien les

proches que le patient, dans une démarche commune. Cela favorise une transmission claire et récurrente de la part des professionnels envers le patient et ses proches tout au long de la prise en charge.

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Dr Leonardo Zullo M.D.

Service Universitaire de Psychiatrie de l’ Age Avancé
Hôpital de Prangins, Ch. Oscar Forel
1197 Prangins

Leonardo.Zullo@chuv.ch

Psychologue Romaine Dukes

Psychologue associée
Service Universitaire de Psychiatrie de l’ Age Avancé au SUPAA
Mont-Paisible 16
1011 Lausanne

Romaine.Dukes@chuv.ch

Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêts à déclarer en relation avec cet article.

  • Les SCPD se présentent sous des formes diverses, ils témoignent d’ une grande détresse émotionnelle du patient et génèrent un stress important pour son entourage (proches et/ou soignants)
  • L’ approche psychothérapeutiques postule que la mise en place de mesures repose sur la compréhension du besoin sous-jacent à la manifestation comportementale
  • Le travail avec les proches aide les soignants dans leur compréhension de des enjeux sous-jacents des SCPD.
  • L’ utilisation des informations amenées par les proches permet la préservation de la personnalité du malade
  • Inclure les proches dans ces démarches leur offre un soutien face à une situation éprouvante en termes émotionnels et permet de les impliquer dans la mise en place d’interventions systémiques.

1. Finkel SI, E Silva JC, Cohen G, Miller S, & Sartorius N. Behavioral and psychological signs and symptoms of dementia: a consensus statement on current knowledge and implications for research and treatment. International psychogeriatrics. 1997; 8 (S3), 497–500.
2. Kaufer DI, Cummings JL, Ketchel P, Smith V, MacMillan A, Shelley T, et al. Validation of the NPI-Q, a brief clinical form of the neuropsychiatric inventory. J Neuropsychiatr Clin Neurosci. 2000; 12(2):233–9.
3. Lyketsos CG, Carrillo MC, Ryan JM, Khachaturian AS, Trzepacz P, Amatniek J, et al. Neuropsychiatric symptoms in Alzheimer’s disease. Alzheimers & Dementia 2011; 7(5): 532–9.
4. Kales HC, Gitlin LN, Lyketsos CG. Assessment and management of behavioral and psychological symptoms of dementia. BMJ. 2015; vol. 350.
5. Kales HC, Gitlin LN, Lyketsos CG. Management of neuropsychiatric symptoms of dementia in clinical settings: recommendations from a multidisciplinary expert panel. J Am Geriatr Soc. 2014; 62(4): 762–9.
6. Cohen-Mansfield J. Nonpharmacological interventions for persons with dementia. Alzheimer’s Care Today. 2005; 6(2): 129-145.
7. Tible OP, Riese F, Savaskan E, von Gunten A. Best practice in the management of behavioural and psychological symptoms of dementia. Ther Adv Neurol Disord. 2017;10(8): 297-309.
8. Micas M, Ousset PJ, Vellas B. Évaluation des troubles du comportement. Présentation de l’échelle de Cohen-Mansfield. La Revue Fr. de Psychiatrie et Psychol. Médicale, 1997; 151-157.
9. Cummings J., Mega M., Gray K., Rosenberg-Thompson S., Carusi D. A., & Gornbein J. The Neuropsychiatric Inventory: Comprehensive assessment of psychopathology in dementia. Neurology. 1994; 44(12): 2308-2314.
10. Ray WA., Taylor JA., Liechtenstein MJ. & al. The nursing home behavior problem scale. Journal of Gerontology, 1992, 47(1): M9-M16.
11. Yesavage J., Brink T., Rose T., Lum O., Huang V., Adey M., Leirer O. Development and validation of a geriatric depression screening scale: a preliminary report. J of Psych Res. 1983;17: 37-49.
12. Alexopoulos GS, Abrams RC, Young RC, Shamoian CA. Cornell Scale for Depression in Dementia. Biol Psychiatry. 1988; 23(3):271-84.
13. Robert PH., Clairet S., Benoit M., Koutaich J., Bertogliati C., Tible O., Caci H., Borg M., Brocker P., & Bedoucha P. The apathy inventory: assessment of apathy and awareness in Alzheimer’s disease, Parkinson’s disease and mild cognitive impairment. International journal of geriatric psychiatry. 2002; 17(12): 1099–1105.
14. Rey S., Voyer P., & Juneau L. Prise en charge des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence. Perspective infirmière : revue officielle de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. 2016 ;13(4) :56–60.
15. Boettcher EG. Preventing violent behavior. An integrated theoretical model for nursing. Perspectives in Psychiatric Care. 1983; 21(2): 54-58.
16. Savaskan E, Bopp-Kistler I., Buerge M. et al. Empfehlungen zur Diagnostik und Therapie der behavioralen und psychologischen Symptome der Demenz (BPSD). Praxis (16618157), 2014, vol. 103, no 3.