Point de vue

Du point de vue des isolés

Confinement – Coronavirus

Réflexions d’ un homme de 85 ans, en parfaite santé, marié, vivant depuis près de 10 ans sur un site d’ appartements protégés regroupant 75 personnes à risque (de 65 ans à plus de 90 ans, autonomes) au-dessus de Lausanne.



Les premières recommandations de l’ OFSP communiquées par le Conseil Fédéral ont été très mal reçues, même si elles ont été suivies à la lettre. Nous sommes tous ici des personnes à risque selon la première recommandation en fonction de l’  âge. Dans notre canton, il y a 6 000 personnes en EMS sur 200 000 personnes dans cette catégorie d’ âge qui vivent en relative bonne santé en appartement standard dans les villes et nos campagnes. Condamner à une détention librement consentie a eu un effet désastreux sur ces seniors en créant une discrimination difficilement supportable par ses conséquences psychologiques dont l’ anxiété, voire une peur réelle de croiser quelqu’ un d’ infecté. Celle-ci a été encore amplifiée par la deuxième recommandation de ne pas prendre les transports publics. Beaucoup de locataires ont abandonné leur voiture précisément pour privilégier les transports publics qui nous permettent d’ être à dix minutes à peine d’ un centre médical, pharmacies, Coop et Migros, poste, et restaurants à proximité. Nous avons été contraints de supprimer le bus qui nous amenait une fois par semaine en groupe pour faire les achats. Il a fallu avoir recours à la solidarité des familles, jeunes voisins privés d’ école ou aux petits-enfants Fig. 1).

Fig. 1 : Passage des commissions entre les grands-parents et deux des petits-enfants Anhorn (de gauche à droite : Maximilien, Willie et Ruth, son épouse, et Barthélémy).

Difficile d’ imaginer la difficulté pour une dame de prier son petit-fils d’ aller acheter des produits pour des soins intimes. Difficile aussi pour ces dames de se priver de leur coiffeuse qui a son salon dans nos murs.
Plus possible non plus de consulter les thérapeutes qui se partagent un salon de soins de confort (physio, podologue, esthéticienne, naturopathe, drainage lymphatique, sophrologue) dans notre maison principale. Encore plus difficile d’ arrêter les cours de gymnastique douce, Qi-Gong, les jeux de société, les conférences, les concerts, les ateliers de mémoire, le cinéclub. Renoncer aux repas communautaires. La culture est aussi très importante pour les personnes de nos âges. Tout cela pour nous protéger. Et comment comprendre que le plus grand nombre de morts a eu lieu dans les EMS où les résidents étaient les plus exposés par l’ âge et les morbidités mais les mieux protégés contre le virus ?
Chaque cas est particulier, personne ne jette la pierre à nos autorités. Par ce témoignage je voudrais simplement rappeler que nous ne sommes pas tous égaux devant la maladie. Avoir classé et disqualifié un bon quart de la population sous prétexte de l’ âge est pour le moins contestable dans le cas d’ une prochaine pandémie qui viendra à coup sûr. Même faire des sous-classes d’ âge serait négatif et encore plus contesté légalement. Quand on avance en âge, on sait très bien que la vie va nous quitter bientôt. La très grande majorité des aînés sont prêts à affronter l’ ultime voyage sans ou avec assistance, mais en liberté. Alors priver les aînés de toutes leurs activités, seuls en ville, longtemps sans avoir de masques à disposition pour leurs rares sorties, ou en nombre raisonnable sur des sites spécialisés, je ne suis pas certain que ce soit une bonne solution. Notre société peut mieux faire, il faudra bien qu’ elle accepte de prendre des risques. Il y aura certainement beaucoup de dégâts psychiques et sociaux. J’ espère qu’ on fera la fête à plus de 5 personnes quand je partirai et qu’ on n’ écrira pas sur ma tombe « Mort sous haute protection ».

Willie Anhorn

Fondation NetAge
Route du Jorat 190a
1000 Lausanne 26

willie.anhorn@sunrise.ch

la gazette médicale

  • Vol. 9
  • Ausgabe 3
  • Juni 2020