- Diagnostic de l’ ischémie myocardique
Les recommandations de la société européenne de cardiologie relatives au syndrome coronarien chronique (anciennement maladie coronarienne stable) proposent une marche à suivre afin de décider s’ il est nécessaire d’ effectuer un examen à un patient se plaignant de douleurs angineuses et quel examen réaliser. Cependant, un test non invasif peut s’ avérer erroné, et en fin de compte la coronarographie reste le gold standard.
Les propositions de la Société Européenne de Cardiologie (ESC)
Les recommandations de l’ ESC proposent, dans un premier temps, de calculer une probabilité pré-test à partir d’ un tableau qui repose sur la caractérisation des symptômes, l’ âge et le sexe du patient (tab. 2). Par rapport à la précédente version datant de 2013 (1), ces probabilités pré-test ont été recalibrées et se retrouvent drastiquement diminuées (2). Concrètement et par exemple, un patient de 67 ans avec un angor typique avait une probabilité pré-test calculée à 89 % en 2013 contre 44 % en 2019. De façon intéressante, les nouvelles guidelines proposent aussi un tableau incorporant la dyspnée comme équivalent angineux (tab. 2).
Une fois une probabilité pré-test calculée, lorsqu’ elle est inférieure à 15 %, les recommandations actuelles proposent de ne pas poursuivre les investigations. Ceci se justifie par l’ exemple suivant : Dans une population avec une probabilité pré-test hypothétique de 5 %, par définition et sans investigations supplémentaires, 5 patients sur 100 auraient donc une maladie coronarienne « manquée ». En revanche, si un hypothétique test fonctionnel avec une sensibilité et une spécificité de 85 % est réalisé dans cette même population, il en résulterait 15 % d’ erreur : 1 patient serait également « manqué » et 14 coronarographies inutiles seraient réalisées. Lorsque la probabilité est supérieure à 15 %, les recommandations proposent d’ opter pour un examen non invasif parmi un arsenal très large : PET-CT, scintigraphie, IRM, échocardiographie de stress ou CT coronarien (cette dernière modalité ayant par ailleurs pris une place importante dans l’ algorithme par rapport aux précédentes recommandations). Les arguments pour opter pour cette dernière modalité sont principalement une probabilité pré-test basse, un patient ayant des caractéristiques suggérant une bonne qualité d’ image, l’ expertise et la disponibilité locales et l’ absence de maladie coronarienne connue ou documentée.
Dès lors, la coronarographie a-t-elle encore sa place dans le diagnostic de la maladie coronarienne ?
La recommandation actuelle (IB) est d’ opter pour une coronarographie chez les patients avec :
1. une probabilité pré-test élevée
2. des symptômes réfractaires au traitement médicamenteux
3. un angor typique au moindre effort avec un haut risque d’ événement clinique
Cependant, dans la pratique, cette indication devient rarissime car :
1. Les hautes probabilités n’ existent presque plus suite au recalibrage
2. Les patients avec des symptômes sont investigués par des examens non invasifs avant que leurs symptômes soient déclarés réfractaires
3. Les modalités d’ évaluation clinique suggérant un haut risque d’ événement clinique restent à définir !
Ce n’ est pas pour autant que la coronarographie n’ a plus sa place dans le diagnostic de la maladie coronarienne. Pour rappel, la coronarographie (avec une FFR, « Fractional Flow Reserve » correspondant à une évaluation hémodynamique de la sténose) est le gold standard pour le diagnostic d’ une ischémie. En effet, la réalisation d’ un CT ou d’ un examen fonctionnel non invasif amènent à une conclusion dont l’ interprétation est liée à l’ incertitude inhérente à la méthode utilisée (valeur prédictive positive et négative) alors qu’ une coronarographie, en plus de confirmer ou d’ infirmer le diagnostic, permet dans un même temps potentiellement de traiter le patient.
Prenons un exemple pratique : Un homme de 65 ans mentionne des douleurs thoraciques typiques. La probabilité pré-test d’ une maladie coronarienne s’ élève donc à 44 % (tab. 2) motivant la réalisation d’ un examen fonctionnel non invasif X, dont la sensibilité et spécificité sont (hypothétiquement) de 87 %.
Quels sont les obstacles rencontrés suite à la réalisation de cet examen ? Le premier obstacle est les limitations de l’ examen lui-même (réserves en raison artéfact, réserves en raison de la qualité des images, mauvaise compliance du patient, etc.) pouvant potentiellement rendre l’ examen non-interprétable. Le 2ème obstacle correspond au message à délivrer au patient, quel que soit le résultat de l’ examen. Si le test est positif, il convient d’ être conséquent et de poursuivre avec une coronarographie. Celle-ci infirmera une maladie coronarienne 7 fois sur 45 (faux positifs). Ce qui revient à dire que 16 % des patients auront donc eu une coronarographie inutile (tab. 3).
Lorsque le test est négatif (55 fois), bien que l’ envie de rassurer le patient prédomine, le tableau 3 illustre que 6 fois sur 55, l’ examen est malheureusement faussement négatif (soit une proportion de 10 %). Il conviendra donc d’ expliquer au patient les potentielles conséquences lorsque le test se trompe, ce qui est possiblement le cas. L’ étude FAME 2 (3) s’ est intéressée à la question. Dans cette étude, des patients présentant des sténoses significatives par mesure hémodynamiques invasives (FFR) ont été randomisés en 2 groupes : un groupe dans lequel ils étaient revascularisés avec des stents et un groupe dans lequel ils n’ étaient pas revascularisés. Le suivi à 5 ans met en évidence que les patients non revascularisés vont présenter de nombreux événements : 12% vont présenter un infarctus, 51% auront une revascularisation et 21% auront une revascularisation réalisée en urgence. De ce fait, le message le plus correct à délivrer au patient est le suivant : bien que l’ examen soit négatif, il existe 10 % d’ erreur. S’ il s’ agit d’ une erreur, la probabilité que le patient bénéficie de la pose de stent dans les 5 ans est de 50 %, potentiellement dans un contexte d’ infarctus. Ce message est difficile à délivrer puisque cet événement peut potentiellement être évité en réalisant une coronarographie. Force est de constater dans cet exemple (tab. 3) qu’ en réalisant un test non invasif comme « gate keeper », près de 1 patient sur 2 aura tout de même une coronarographie au final (45/100) mais que malgré tout, 6 patients seraient « manqués ». Finalement, dans l’ exemple choisi, 100 % des patients ont consulté avec des douleurs typiques. Ces symptômes restent inexpliqués lorsque le test fonctionnel est négatif et chez ces patient, le doute de compter parmi les faux négatifs va potentiellement continuer à subsister les années qui vont suivre ce qui peut rendre une prise en charge difficile.
Par ailleurs, en 2021, une coronarographie ne se résume plus comme par le passé à visualiser la présence ou l’ absence de sténoses. Cette étape n’ est qu’ un mince volet de l’ examen. Aujourd’ hui, lorsqu’ une sténose est visualisée et que sa localisation correspond à un territoire ischémique sur un examen fonctionnel non invasif, l’ indication à une revascularisation est alors posée. En l’ absence d’ examen fonctionnel non invasif, une mesure invasive par FFR peut être réalisée et en fonction du résultat, une revascularisation peut être effectuée. De plus, même en l’ absence de sténoses coronariennes, un patient peut présenter de l’ ischémie (INOCA) en raison d’ une atteinte de la microcirculation ou de spasmes coronariens. Ces deux entités – en 2021 – peuvent être explorées de manière invasive (4) à la différence des examens fonctionnels non invasifs (à l’ exception du PET-CT qui renseigne sur la réserve de flux). De ce fait, la coronarographie est le seul examen qui permet d’ obtenir une réponse complète et définitive (fig. 1).
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Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV)
Service de Cardiologie Interventionnelle
Rue du Bugnon 46
1011 Lausanne
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Les auteurs ont déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêt en rapport avec cet article.
◆ Lorsqu’ un patient ou une patiente rapporte des douleurs angineuses, le premier réflexe est de calculer une probabilité pré-test puis de poursuivre par un test non invasif lorsque celle-ci est supérieure à 15%.
◆ Un test non invasif peut se tromper, et au final la coronarographie
reste le gold standard.
◆ Les patients peuvent présenter de l’ angine de poitrine sans pour autant présenter des sténoses coronariennes (atteinte de la micro-circulation ou spasmes coronariens). Ces entités peuvent être investiguées lors d’ une coronarographie à l’ aide de matériel et protocoles ad hoc.
1. Montalescot G, Sechtem U, Achenbach S, Andreotti F, Arden C, Budaj A, et al. 2013 ESC guidelines on the management of stable coronary artery disease. Eur Heart J. 2013;
2. Neumann FJ, Sechtem U, Banning AP, Bonaros N, Bueno H, Bugiardini R, et al. 2019 ESC Guidelines for the diagnosis and management of chronic coronary syndromes. European Heart Journal. 2020.
3. Xaplanteris P, Fournier S, Pijls NHJ, Fearon WF, Barbato E, Tonino PAL, et al. Five-Year Outcomes with PCI Guided by Fractional Flow Reserve. N Engl J Med. 2018;
4. Kunadian V, Chieffo A, Camici PG, Berry C, Escaned J, Maas AHEM, et al. An EAPCI Expert Consensus Document on Ischaemia with Non-Obstructive Coronary Arteries in Collaboration with European Society of Cardiology Working Group on Coronary Pathophysiology & Microcirculation Endorsed by Coronary Vasomotor Disorders International Study Group. Eur Heart J. 2020;
la gazette médicale
- Vol. 10
- Ausgabe 5
- September 2021