- Effet de l’ entraînement de l’ équilibre: Intégration d’ un programme en réadaptation
Le vieillissement affecte la coordination et augmente le risque de chutes, impactant la qualité de vie des personnes âgées. Les avancées en neurosciences suggèrent l’ importance d’ un mode de vie actif et de l’ entraînement de l’ équilibre pour atténuer ce risque. L’ espérance de vie croissante associée à l’ altération du contrôle postural lors du vieillissement explique la prévalence élevée des chutes chez les séniors, justifiant l’ importance de programmes de réadaptation adaptés. La collaboration entre physiologistes de l’ exercice et physiothérapeutes au Réseau Hospitalier Neuchâtelois (RHNe) amène des approches inédites en réadaptation au sein de l’ institution, débouchant sur la mise en place d’ un entraînement de la coordination sous la forme d’ un groupe thérapeutique. Un travail interdisciplinaire combinant expertise scientifique et application clinique pour une prise en charge optimale.
Science et équilibre: Repenser la mobilité des séniors
Même si certaines recherches dans le passé mettaient déjà en avant les pertes fonctionnelles dues au vieillissement (1), c’ est principalement au cours des dernières années que les neurosciences et la recherche cognitive ont modifié notre façon de penser face au vieillissement, surtout en termes de santé et de qualité de vie (2). Si l’ ampleur de ces pertes comme une mémoire plus pauvre, un risque accru de chutes ou encore un traitement de l’ information plus lent peuvent varier d’ un individu à l’ autre, des différences apparaissent généralement lorsqu’ on compare des groupes de séniors à des jeunes adultes (3). Un mode de vie actif regroupant des stimulis physiques, cognitifs et sociaux semble être bénéfique non seulement pour réduire les pertes fonctionnelles et améliorer la mobilité des personnes âgées, mais également pour maintenir de bonnes facultés cognitives (4). Le contrôle de l’ équilibre paraît crucial pour préserver ou retrouver un mode de vie actif au vu des différents processus du contrôle moteur impliqués dans les activités quotidiennes telles que la marche ou le vélo; ceux-ci nécessitant l’ intégration continue d’ informations multi- sensorielles du corps dans l’ espace (5).
Prévalence des chutes chez les séniors
Dans les pays développés, l’ espérance de vie des personnes de 65 ans est d’ approximativement 17 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes. De plus, il est démontré que le contrôle postural entre les jeunes gens et les personnes âgées diffère passablement (6), expliquant ainsi l’ augmentation des chutes chez les séniors avec au moins une chute par année chez un tiers des personnes de plus de 65 ans (7). Ce taux augmente très rapidement avec l’ âge et atteint des valeurs de 56 % pour les groupes de 90 à 99 ans (8). En suisse, les statistiques montrent que les chutes sont la cause principale de mortalité et de blessure causées par un accident non-professionnel (9). Pas moins de 300 000 personnes sont chaque année blessées en raison de chute, ce qui représente plus que la moitié de tous les accidents domestiques confondus. (10).
Altération du contrôle postural
Les personnes âgées présentent des différences significatives dans leur contrôle postural lors de l’ exécution d’ une double tâche (DT) (11). Cette différence est d’ autant plus marquée si la tâche est complexifiée (12): On observe dès lors une dégradation de la performance en lien avec la tâche concurrente. En relation avec cette détérioration du contrôle postural, l’ augmentation de chutes chez les personnes de plus de 65 ans peut s’ expliquer par une dégradation de certaines facultés neuromécaniques liées au vieillissement telle que la pondération sensorielle (13). Ce déclin dans le contrôle de la pondération sensorielle jouerait ainsi un rôle significatif dans l’ augmentation des chutes chez les séniors (14). Les raisons justifiant cette corrélation positive entre l’ altération du contrôle postural et l’ augmentation de l’ âge sont multiples: la sarcopénie, c’ est-à-dire la perte involontaire de masse musculaire, est un composant pathophysiologique critique de la fragilité (15), la détérioration des capacités sensorielles telles que la vue, l’ ouïe et le touché, une diminution de la condition physique entraînant une perte de force musculaire (notamment de la force explosive), une immobilisation prolongée, les effets secondaires résultant de la prise de certains médicaments, et finalement la peur de la «perte de contrôle» et du risque de tomber (6). Chuter à un âge avancé peut avoir de lourdes conséquences et altérer drastiquement la qualité de vie d’ une personne, d’ où l’ importance d’ étudier les causes et les risques de chutes chez les aînés. Mieux comprendre l’ altération du contrôle postural permet ainsi une meilleure prévention contre les potentielles déficiences de certaines facultés neuromécaniques et une meilleure prise en charge des personnes âgées dans le but de diminuer leur risque de chute.
Les effets de l’ entraînement de l’ équilibre
Dans la lutte contre l’ augmentation des chutes chez les aînés, l’ entraînement de l’ équilibre semble être bénéfique notamment dans l’ amélioration de certains paramètres du contrôle postural (16), mais également au niveau structural (17). L’ activité physique en endurance permet d’ améliorer le contrôle postural (18). Plusieurs études (19) recommandent l’ entraînement de l’ équilibre comme une mesure efficace pour contrer l’ altération naturelle de certaines fonctions neuromécaniques mais également cognitives (20). Les effets positifs résultant de l’ entraînement et de l’ apprentissage de l’ équilibre ont montré des améliorations comportementales sur plusieurs niveaux, tels que: une réduction de l’ incidence des chutes (avec ou sans conséquences médicales), de meilleures compétences de réhabilitation, une réduction des douleurs cervicales, une amélioration des fonctions sensorimotrices des vertèbres cervicales, et une augmentation de la performance en pliométrie. Ainsi, ces recherches mettent en évidence les nombreux bénéfices découlant de l’ entraînement de l’ équilibre chez les personnes âgées. Par conséquent, la mise en place de tels programmes en réadaptation paraît essentielle.
Mise en application: Expérience au RHNe
Mise en place d’ un groupe de «coordination»
La nécessité d’ intégrer un entraînement de l’ équilibre en réadaptation paraît donc indispensable. De ce fait et dans le cadre d’ un projet institutionnel visant à améliorer les processus de réadaptation, une approche proactive a été développée et crée pour améliorer la qualité de vie de nos patients, notamment âgés en réadaptation, en mettant sur pied un groupe de coordination.
Objectifs
Le but premier de ce groupe de coordination est de renforcer la coordination motrice des patients âgés; compétences essentielles à leurs activités quotidiennes et à la prévention des chutes. Dans la pratique, ce groupe est réalisable en position assise ou debout et s’ articule autour de quatre objectifs:
1. Sensibiliser les patients à l’ importance vitale de la coordination pour leurs activités quotidiennes
2. Améliorer la coordination sous toutes ses formes, assurant notamment une prévention efficace contre les chutes
3. Proposer des exercices simples et reproductibles à domicile, favorisant l’ autonomie et la continuité du soin
4. Suivre et quantifier les progrès de chaque patient, afin d’ ajuster les exercices pour répondre au mieux à leurs besoins
Critères
Le groupe est conçu pour accueillir un large éventail de patients tout en leur offrant un programme adapté et personnalisé. Toutefois, afin de garantir l’ efficacité et la sécurité des séances pour tous les participants, certains critères d’ exclusion sont appliqués.
Ce programme est idéal pour ceux qui peuvent s’ engager activement dans les exercices proposés, à l’ exception des cas suivants:
1. Patients présentant des troubles cognitifs sévères, avec un score au Mini-Mental State Examination (MMS) inférieur à 15
2. Patients affectés par une surdité ou une cécité sévère
3. Patients ayant des troubles du comportement qui pourraient entraver la dynamique de groupe
4. Patients ayant une dépendance trop importante, indiquée par un score à la Mesure d’ Indépendance Fonctionnelle (MIF) inférieur à 4 pour les transferts et les locomotions
Fréquence et déroulement des séances
Les patients participent au groupe de coordination trois fois par semaine. Notre volonté est d’ intégrer le plus fidèlement possible les données scientifiques dans la pratique clinique. En effet, la recherche suggère une amélioration substantielle de la capacité de performance de l’ équilibre à une fréquence de trois sessions hebdomadaires (21) (Fig 1).
La thérapie dure 45 minutes par séance. Chaque groupe accueille jusqu’ à six patients qui sont encadrés par un physiologiste de l’ exercice ou un physiothérapeute. Les participants au groupe sont des patients connus du service ce qui permet une sélection personnalisée des exercices en anticipant leurs exigences pour répondre de manière individualisée aux besoins de chacun.
Choix des exercices
Le choix des exercices repose sur une série d’ exercices ciblés, structurés autour de cinq thématiques clés: l’ orientation, la réaction, la différenciation, le rythme, et l’ équilibre (ORDRE). Chacune de ces thématiques propose six niveaux de difficulté, de la variation la plus simple à la plus complexe. Cette gradation permet une personnalisation poussée, adaptant l’ exercice aux capacités et aux progrès de chaque patient. Des exercices simples, comme par exemple le maintien de la station debout sur une surface instable, ou encore des exercices plus complexes comme l’ utilisation de la double tâche, permettent d’ ajuster finement le niveau de difficulté aux capacités du patient (Fig 2). Cette adaptabilité assure non seulement une sécurité maximale lors de la pratique, mais permet également de maintenir un niveau d’ engagement élevé chez le patient, facteur clé dans la réussite de tout programme de réadaptation.
Des retours positifs
Des retours empiriques indiquent une bonne adhésion des patients mettant en lumière le réentraînement de certains aspects de la coordination longtemps délaissés, tels que le rythme ou la réaction. Les patients ont augmenté leur quantité de mouvements quotidiens, et l’ appréciation de la variété des exercices a été notée. Les physiothérapeutes, assurant des séances individuelles dans le cadre de l’ itinéraire spécifique du patient en réadaptation, ont également partagé des retours positifs, notant les avantages de l’ entraînement en coordination sur leurs patients.
De nouvelles collaborations: Complémentarité Physiologiste et physiothérapeute
L’ introduction d’ un groupe de coordination au sein de notre institution est née d’ une collaboration enrichissante entre le physiologiste de l’ exercice et le physiothérapeute, offrant une perspective innovante sur l’ entraînement et la thérapie de nos patients.
Le physiologiste de l’ exercice apporte une base scientifique solide, mettant en avant les bienfaits de l’ activité physique sur la santé. Sa connaissance approfondie dans les domaines de l’ équilibre, de l’ endurance, de la biomécanique du mouvement et de la force permet d’ introduire des pratiques novatrices. Pour ce dernier paramètre et dans le cadre d’ un centre de réadaptation, il apporte une précision scientifique au travail de la force. Il personnalise la charge de travail en fonction de la force maximale relative de chaque patient, exploitant l’ ensemble du spectre de l’ entraînement contre résistance, de la force maximale à la force explosive.
Pour répondre au mieux aux objectifs fixés pour les patients, Il élabore des protocoles adaptés tout en s’ appuyant sur des donnés probantes et des méthodes efficaces et variées, comme l’ entraînement en excentrique (22) ou en force maximale. Cette dernière, requiert moins de répétitions avec des charges plus élevée pour maximiser les gains en force (Fig 3). A titre d’ exemple, lorsque le but recherché est de gagner en force, il est courant d’ observer des protocoles de 10 à 20 répétitions avec des charges inférieures à 75 % de la capacité maximale et des pauses courtes. Cependant, la littérature recommande depuis longtemps des séances plus intensives (> 75 %), limitées à 8 répétitions et espacées de pauses plus longues (2 à 4 min) pour une amélioration optimale de la force (23).
Cette expertise scientifique renouvelle l’ approche de prescription d’ exercices, s’ éloignant des pratiques conventionnelles, pour des adaptations physiologiques plus marquées. Cette démarche contribue également à dissiper les réticences des physiothérapeutes à utiliser des exercices de force, notamment à des intensités plus élevées, avec des patients considérés comme fragiles.
Parallèlement, le physiothérapeute apporte une dimension complémentaire avec un regard plus clinique et fonctionnel, axé directement sur les besoins des patients. Cette expertise permet de déterminer la faisabilité des exercices proposés, garantissant ainsi leur adaptation et leur sécurité pour chaque individu. De plus, la collaboration entre ces deux professions favorise une approche holistique où la théorie scientifique rencontre la pratique clinique pour un bénéfice patient optimal.
Cette complémentarité a donné naissance à une nouvelle vision de l’ application des sciences du mouvement à une population considérée comme fragile. Elle permet de dépasser les approches thérapeutiques traditionnelles, en éliminant les appréhensions et en remettant en question les pratiques établies.
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Réseau Hospitalier Neuchâtelois
Coordinateur Médecine du Sport /
Physiologiste du Sport
Swiss Olympic Sport Medical Base
Route de Landeyeux
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l’auteur n’a pas déclaré de conflit d’ intérêts en rapport avec cet article.
◆ L’ impact du vieillissement sur la coordination et l’ augmentation du risque de chutes compromet la qualité de vie.
◆ Maintenir une activité physique soutient les capacités de coordination et diminue les effets négatifs du vieillissement.
◆ La collaboration entre physiologistes de l’ exercice et physiothérapeutes peut conduire à l’ introduction de nouvelles approches, améliorant significativement la prise en charge des patients âgés en réadaptations.
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- Vol. 13
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