- Hypnose et douleur chronique
Chacun de nous, à travers sa représentation de la douleur, en influence sa perception ; quel que soit le type de douleurs. L’ hypnose médicale est un procédé qui peut moduler les perceptions. Dans les cas de douleurs chroniques, elle permet en plus au patient de devenir acteur de sa prise en charge, par l’ apprentissage de l’ autohypnose.
La douleur est une expérience subjective *. Elle est ressentie très différemment selon les individus. Elle est définie comme chronique lorsque la sensation douloureuse excède trois mois ou devient récurrente (1). Avec sa chronicisation, les facteurs psychosociaux, comportementaux et relationnels occupent une place croissante dans l’ expérience douloureuse (2). Dès lors, il devient nécessaire de recourir à une approche plus globale du patient, souvent pluridisciplinaire, associant plusieurs types de traitements ; notamment non médicamenteux (3, 4). L’ hypnose peut être l’ une des approches, non pas alternative mais complémentaire, qui apportent de l’ aide au patient.
L’ hypnose permet d’ induire un état de conscience propice à réaliser un travail psychologique ou psychosomatique
C’ est à travers une communication spécifique que le praticien en hypnose emmène un individu dans un état hypnotique, appelé communément « transe » (5). Au cours de celle-ci, « l’ attention de la personne hypnotisée est focalisée sur une pensée, une image, une sensation, une activité, alors que les évènements extérieurs sont ignorés. Cet état est proche de situations naturelles et banales de la vie quotidienne, notamment lorsque nous sommes spontanément absorbés par nos pensées […] » (6). C’ est une expérience singulière et subjective : elle est variable d’ un individu à l’ autre, mais aussi d’ un jour à l’ autre pour une même personne.
La transe n’ est pas une vue de l’ esprit
On a pu la mettre en évidence grâce aux progrès de l’ imagerie cérébrale fonctionnelle (7, 8) et sur des tracés électroencéphalographiques (9).
Exercée dans le cadre d’ une activité soignante, on parle d’ hypnothérapie
L’ hypnose thérapeutique est pratiquée pour de nombreuses indications qui ne se cantonnent ni à l’ antalgie ni à la psychothérapie. Sa pratique requiert une formation théorique et pratique adéquate et reconnue. Elle se distingue de « l’ hypnose de spectacle » d’ abord par son usage thérapeutique, impliquant le strict respect de chartes éthiques +, et par une conduite non autoritaire (fig. 1). Une fois en état d’ hypnose, le thérapeute accompagne et guide le sujet par des suggestions ‡ pour activer ses ressources internes, afin d’ atteindre l’ objectif de soin choisi.
L’ autohypnose
Créer soi-même et pour soi-même l’ état d’ hypnose s’ apprend en quelques séances. L’ intérêt majeur de l’ autohypnose est de favoriser l’ autonomisation du patient, en lui mettant à disposition un « outil » qu’ il pourra utiliser lorsqu’ il en ressentira le besoin (10). Son apprentissage est essentiel dans la prise en charge d’ un patient souffrant de douleur chronique.
En théorie, tout le monde est hypnotisable…
…puisqu’ il s’ agit d’ induire un état naturel que nous éprouvons tous, sans effort, à un moment ou à un autre dans une journée. C’ est plus difficile à démontrer en laboratoire pour des raisons méthodologiques, mais les études tendent à confirmer les impressions cliniques (11).
En pratique, certaines personnes sont plus réceptives que d’ autres ; certaines situations aussi. La qualité du lien thérapeutique et l’ expérience du thérapeute influencent grandement les chances de succès.
Avertissement !
Utiliser l’ hypnose ne dispense pas le thérapeute d’ une évaluation préalable pluridimensionnelle rigoureuse. Il s’ agit d’ écarter un diagnostic somatique traitable. S’ il n’ est pas médecin, le praticien en hypnose délèguera cette évaluation ou s’ assurera qu’ elle a déjà eu lieu.
En tant que processus de communication s’ inscrivant dans une relation d’ aide, l’ hypnose ne possède pas de « contre-indications » formelles ou de possibles « effets secondaires ». Son usage thérapeutique nécessite un savoir-faire ; elle peut être délétère si le thérapeute est incompétent ou manque de formation (5). Elle est habituellement déconseillée pour des patients non stabilisés psychiquement (troubles psychotiques aigus et paranoïa), sauf peut-être maniée par un psychiatre (12).
Les mauvais effets colportés sont le plus souvent expliqués par un usage inadéquat. Utilisée par quelqu’ un de correctement formé, la pratique de l’ hypnose est sûre (13, 14). Elle a même un profil d’ effets secondaires extrêmement positif dans les situations de douleurs chroniques (10, 15). Rappelons qu’ au cours d’ une séance d’ hypnose, l’ individu reste conscient de ses actes et de ses paroles.
L’ efficacité antalgique de l’ hypnose est maintenant bien établie (16)
Elle est efficace dans des situations de douleurs très diverses (14, 17). Elle a, à titre d’ exemple, été étudiée dans (liste non exhaustive) : les céphalées de tension et la migraine, la fibromyalgie, l’ algodystrophie, les douleurs du membre fantôme, le syndrome de l’ intestin irritable, la maladie de Crohn, les douleurs viscérales de la drépanocytose, les lombalgies chroniques, les douleurs de la sclérose en plaques ou de la polyarthrite…
Signalons que certaines analyses suggèrent que les personnes souffrant de douleur neuropathique pourraient être plus susceptibles de répondre à l’ hypnose que les individus souffrant de douleurs non neuropathiques (18).
Efficace pour « traiter » la douleur chronique ?
L’ hypnose en tant que traitement de la douleur chronique a été étudiée dans quelques essais randomisés, avec des preuves incertaines d’ effet bénéfique, ou d’ effet peu important sur la douleur chronique autodéclarée (14). À ce jour et à notre connaissance, une seule méta-analyse (2012) compare l’ efficacité de l’ hypnose (comme intervention principale) à des « soins standards » pour traiter spécifiquement la douleur chronique (19). Cette synthèse recense 12 études publiées et écrites en anglais (dont 6 essais randomisés), incluant au total 669 participants souffrant de douleurs présentes depuis 11,5 ans en moyenne (écart-type 1,76 année). Le critère principal d’ évaluation retenu est la douleur ou l’ intensité de la douleur autodéclarée à la fin de l’ intervention. Signalons d’ emblée la grande hétérogénéité des études incluses dans cette méta-analyse. Les résultats des mesures de l’ effet de l’ hypnose, même entachées de limitations méthodologiques, montrent que l’ hypnose a une efficacité modérée et significative dans le traitement de la douleur chronique (g de Hedges § = 0,6 ; IC 95 % [0,03 – 1,17] ; p < 0,05).
Ainsi, les données scientifiques actuelles, même si elles manquent encore de robustesse scientifique, confortent l’ efficacité de l’ hypnose en approche supplémentaire et complémentaire pour prendre en charge ces patients complexes, elle ne saurait en être le seul traitement.
Le but n’ est pas tant la disparition de la douleur que d’ apprendre à mieux vivre avec elle
La pratique de l’ hypnose amène un patient souffrant de douleur chronique à la vivre différemment, ce qui améliore sa qualité de vie, en rendant possible le maintien ou la reprise d’ activités sociales, professionnelles ou privées.
Les bénéfices attendus sont à la fois de l’ ordre du soulagement, mais aussi de la prévention de la douleur : « diminution du nombre de crises, de leur intensité, mais aussi de l’ angoisse liée à la douleur, voire de l’ anticipation anxieuse de l’ apparition des symptômes lors d’ une crise » (11) ; sans compter les retombées économiques, aussi bien individuelles que pour le système de santé, réelles ou potentielles (exemple : réduction de la consommation de médicaments antalgiques, donc potentiellement de la iatrogénie médicamenteuse) **.
Parmi les bienfaits obtenus qui ne sont pas nécessairement la cible du traitement (soulagement de la douleur), citons les améliorations de la qualité du sommeil, de la créativité, de la confiance en soi, de l’ humeur et de la socialisation (15).
Plus qu’ un outil complémentaire, plus qu’ un simple mode de communication
La relation thérapeutique, dans laquelle un patient souffrant de douleur chronique partage sa souffrance avec un thérapeute, est le noyau de l’ interaction hypnotique. Fort de cette alliance, de ce lien de confiance, le thérapeute offre au patient un espace protégé dans lequel il va pouvoir explorer sa souffrance jusqu’ à trouver comment la transformer – en modifiant ses perceptions et son vécu (5).
Le praticien en hypnose par une écoute particulière devient capable de déceler certaines raisons cachées qui contribuent à la persistance d’ une douleur et faire alors un travail de recadrage (20). En effet, des éléments contextuels ou de communication humaine peuvent entretenir perversement une douleur. Ainsi la répétition perpétuelle, voire rituelle, des plaintes et la recherche permanente d’ une explication, d’ un soulagement concourent à créer une empreinte mnésique négative (5).
En replaçant l’ individu en tant que sujet, avec toutes ses dimensions et ses ressources, au cœur de la prise en charge (et non plus seulement sa douleur), l’ hypnose facilite et encourage la résilience et l’ autohypnose, l’ autonomisation du patient.
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Hôpitaux Universitaire de Genève (HUG)
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Le Dr Le Breton et la Dre Wolff sont tous deux hypnothérapeutes et membres du « Programme Hypnose HUG » (PHH), dont la Dre Wolff est co-directrice.
- L’ hypnose prend en compte le patient dans sa globalité (dimension sociale, cognitive, sensorielle et émotionnelle) et s’ appuie sur l’ activation de ses ressources.
- À travers le travail hypnotique, le thérapeute peut amener un patient qui se plaint de douleur chronique à la vivre autrement et ainsi améliorer sa qualité de vie.
- L’ hypnose est une thérapie brève ; un soulagement peut souvent être obtenu en peu de séances.
- L’ apprentissage de l’ autohypnose est essentiel dans la prise en charge d’ un patient souffrant de douleur chronique.
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la gazette médicale
- Vol. 9
- Ausgabe 6
- November 2020