- Néphroprotection dans le diabète de type 2
Les patients diabétiques ont un très haut risque de développer une complication cardiovasculaire telle qu’ un infarctus du myocarde, une insuffisance cardiaque ou un accident vasculaire cérébral. La survenue de ces complications est responsable d’ un excès de mortalité chez ces patients par rapport à la population générale. Du point de vue rénal, le risque d’ insuffisance rénale chronique (IRC) chez les sujets avec un diabète de type 2 (DM 2), est d’environ 35%. En Suisse, comme dans l’ ensemble des pays développés, le diabète constitue aujourd’ hui la première cause d’ insuffisance rénale terminale (IRT) chez les patients de plus de 50 ans (1).
L’ hypertension artérielle est l’ un des facteurs de risques les plus importants pour l’ apparition d’ évènements cardiovasculaires (CV) ainsi que pour la progression des maladies rénales. Dans l’ insuffisance rénale, la prévalence de l’ hypertension est élevée et augmente avec la baisse de la filtration glomérulaire pour atteindre une prévalence de l’ ordre de 80 à 90% aux stades les plus avancés. Chez les patients diabétiques, l’ hypertension est fréquemment associée à une perturbation du rythme circadien caractérisée par une augmentation de la pression artérielle nocturne et une perte de la baisse physiologique de la pression la nuit (dipping). L’ absence de « dipping » est en elle-même associée à une augmentation des atteintes d’ organes cibles. Chez les diabétiques, on constate aussi une prévalence élevée d’ hypertension artérielle masquée, environ 40%. L’ hypertension masquée est définie comme une pression artérielle normale au cabinet médical mais élevée hors du contexte médical.
Selon les recommandations de la Société Européenne d’ Hypertension, la prise en charge de tout patient hypertendu doit tenir compte non seulement des valeurs de pression artérielle mais aussi des comorbidités et du risque cardiovasculaire (CV) du patient (2). Ce dernier est influencé par trois facteurs : 1) le niveau des valeurs de la pression artérielle, 2) la présence d’ autres facteurs de risque CV et 3) la présence d’ un diabète ou d’ une insuffisance rénale ou l’ existence d’ une atteinte d’ organes cibles (IRC, insuffisance cardiaque ou accident vasculaire cérébral). Selon ces critères, les patients diabétiques sont à haut risque et doivent impérativement être traités pour l’ ensemble de leurs facteurs de risque. Sur le plan du traitement antihypertenseur, il est aujourd’ hui recommandé de débuter avec un bloqueur du système rénine-angiotensine (RAS) car c’ est le meilleur moyen de baisser simultanément la pression artérielle et la protéinurie. Si une combinaison médicamenteuse est nécessaire pour atteindre les valeurs cibles, l’ association d’ un bloqueur du RAS et d’ un anticalcique semble préférable à l’ association d’ un bloqueur du RAS et d’ un diurétique.
Néphropathie diabétique
La néphropathie diabétique évolue progressivement sur des années et la progression de l’ atteinte rénale diabétique est influencée par de nombreux facteurs métaboliques, génétiques et hémodynamiques (3). Sur le plan de la clinique et du laboratoire, elle se manifeste initialement par une augmentation de la pression artérielle et une augmentation de la filtration glomérulaire due à une hyperfiltration. Puis, apparaît une micro-albuminurie qui va progresser vers une macro-albuminurie et une détérioration plus ou moins rapide de la fonction rénale (diminution de 5 à 10 ml / min / année du taux de
filtration glomérulaire en l’ absence de prise en charge) (tab. 1).
Le but de la néphroprotection est de ralentir voire de stopper cette progression en intervenant à plusieurs niveaux. D’ abord, par une bonne prise en charge des facteurs de risque comme le tabagisme, l’ obésité et l’ inactivité physique. Ensuite, par un bon contrôle des glycémies qui est essentiel pour prévenir l’ ensemble des complications liées au diabète. Et enfin, par la réduction de la protéinurie et le contrôle de la pression artérielle. Le contrôle glycémique est également crucial pour prévenir l’ ensemble des complications micro- et macro-vasculaires du diabète, y compris la néphropathie.
Aujourd’ hui, on peut considérer qu’ il existe deux piliers importants pour protéger la fonction rénale des patients souffrant d’ un diabète de type 2, à savoir le blocage du système rénine-angiotensine et l’ inhibition du co-transport sodium/glucose au niveau rénal par les inhibiteurs de SGLT2. Ces deux approches seront discutées ci-dessous.
Les bloqueurs du système rénine-angiotensine :
la base de la prévention
Le blocage du système rénine-angiotensine permet non seulement de baisser la pression artérielle systémique mais aussi de réduire la pression intraglomérulaire en induisant une vasodilatation de l’ artériole efférente. Par ce biais, les inhibiteurs du RAS diminuent l’ hyperfiltration qui est une cause reconnue de sclérose des glomérules. C’ est par ces 2 mécanismes conjoints que les bloqueurs du système rénine-angiotensine ont démontré un effet protecteur, qu’ il s’ agisse des inhibiteurs de l’ enzyme de conversion ou des antagonistes des récepteurs de l’ angiotensine 2.
Trois grandes études cliniques ont démontré que le blocage des récepteurs de l’ angiotensine 2 diminue le risque d’ IRT chez les patients avec un diabète de type 2 et que l’ on peut ralentir la progression de la néphropathie en partie indépendamment du contrôle de la pression artérielle. Il s’ agit des études IDNT (Irbesartan Diabetic Nephropathy Trial) (4), RENAAL (Effets du losartan chez les patients diabétiques de type 2 avec une néphropathie) (5) et IRMA (Irbesartan et micro albuminurie chez les patientes hypertendus et diabétique type 2) (6). Depuis la publication de ces études clés, de nombreuses études ont confirmé l’ observation en utilisant d’ autres médicaments de la même classe ainsi que des inhibiteurs de l’ enzyme de conversion (IEC) de l’ angiotensine.
Pour rappel, IDNT était une étude randomisée qui a inclus 1715 patients hypertendus avec une néphropathie diabétique dans le cadre d’ un diabète de type 2 (4). Les patients ont reçu soit de l’ irbesartan (300 mg par jour), soit de l’ amlodipine (10mg par jour), soit un placebo. La cible du traitement était une pression artérielle ≤ 135 / 85 mmHg dans tous les groupes. Les paramètres principaux observés étaient le doublement de la créatinine sérique de référence, l’ évolution vers l’ insuffisance rénale terminale ou la survenue d’ un décès. La durée moyenne du suivi était de 2,6 ans. Les résultats ont montré que le risque de progression de l’ insuffisance rénale, ou de survenue d’ un décès est de 20% inférieur chez les patients qui ont reçu de l’ irbe-sartan par rapport au groupe placebo est de 23% inférieur par rapport au groupe amlodipine.
L’ étude RENAAL, également randomisée et conduite en double aveugle, a inclus 1513 patients et comparait le losartan (50 à 100 mg une fois par jour) à un placebo en plus d’ un traitement antihypertenseur standard comprenant, selon besoin, un antagoniste du calcium, un diurétique et un alpha- ou bêta-bloquant (5). Ces patients ont été suivis pour une moyenne de 3,4 ans. Les objectifs étaient les mêmes que dans IDNT. Les résultats ont montré que le losartan diminue l’incidence du doublement de la créatinine (réduction du risque relatif de 25%) et de l’insuffisance rénale terminale (réduction de 28%) mais qu’il n’a eu aucun effet sur le taux de mortalité global. Finalement, la protéinurie a été réduite de 35% par rapport au groupe placebo. Il est important de relever que l’ administration d’ un ARB ou d’ un IEC s’ associe souvent à une élévation initiale de la créatininémie. Cependant, une étude réalisée avec le losartan, a démontré une association positive entre la diminution initiale de l’eGFR et la préservation de la fonction rénale.
Finalement, l’ étude IRMA a inclus 590 patients hypertendus souffrant de diabète type 2 et présentant une micro-albuminurie. Elle a comparé l’ irbesartan (150 mg ou 300 mg / jour) à un placebo. Les patients ont été suivis pendant 2 ans et les résultats ont montré que l’irbesartan diminue la micro-albuminurie et prévient le développement d’ une macro-albuminurie indépendamment de son effet hypotenseur (6).
Ces études sont donc à la base des recommandations de prescrire les inhibiteurs du système rénine-angiotensine chez les patients avec une atteinte rénale diabétique. Toutefois, malgré ces données importantes, près de la moitié des patients avec une néphropathie diabétique continue de péjorer leur fonction rénale avec le temps, ce qui suggère qu’ il reste encore des possibilités d’ améliorer la néphroprotection du patient diabétique.
Les inhibiteurs de SGLT2 : une nouvelle opportunité de prévention rénale
Au cours de dernières années, de nombreux médicaments anti-diabétiques ont été développés et mis sur le marché. Parmi eux, certains ont démontré des propriétés néphroprotectrices et les résultats les plus impressionnants ont été obtenus avec les inhibiteurs de la réabsorption de glucose (SGLT2) au niveau du tubule proximal du rein (7). En effet, les inhibiteurs de SGLT2 induisent une glucosurie qui entraîne d’ une part une baisse des glycémies et de l’ hémoglobine glyquée comparable aux antidiabétiques oraux classiques comme la metformine, et d’ autre part une diminution de la pression intra-glomérulaire par réduction du diamètre des artérioles afférentes qui amènent le sang dans les glomérules. En outre cette classe de médicaments diminue le poids, abaisse la pression artérielle systolique et diastolique (de 4 à 6 et de 1 à 2 mm Hg respectivement) (8), ce qui peut avoir un impact favorable sur les complications rénales et cardio vasculaires liées au diabète. Les effets secondaires les plus fréquents sont les infections génitales (mycoses vaginales essentiellement).
L’ étude EMPA-REG (empagliflozine, cardiovascular outcome and mortality in type 2 diabetes) publiée récemment dans le New England Journal of Medicine, a étudié les effets cardiovasculaires et rénaux de l’ empagliflozine chez les patients diabétiques de type 2, en comparant 10 et 25 mg d’ empagliflozine administré deux fois par jour à un placebo (9). Cette étude a inclus 7020 patients suivis pour une moyenne de 3 ans. L’objectif principal était l’ impact sur la mortalité cardiovasculaire et de la mortalité globale. Les critères d’évaluation étaient un composite de mortalité cardiovasculaire, d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque. L’ étude a aussi investigué les impacts rénaux de ce nouveau traitement tels que le doublement de la créatinine sérique, la progression de la protéinurie, le besoin de dialyse etc. Les résultats ont montré une réduction significative du risque relatif de mortalité cardiovasculaire de 38%, une réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque de 35% et une réduction de la mortalité globale de 32% chez les patients traités avec empagliflozine. En outre, au plan rénal, les bénéfices ont été importants avec une diminution du risque relatif de progression de l’ insuffisance rénale de 39%, y compris chez les patients qui avaient déjà une atteinte rénale (10). La diminution de la progression vers une macroalbuminurie était de 38% et le besoin de dialyse a été réduit de 55% durant la période d’ évaluation. Plus récemment, des résultats similaires ont été publiés avec la canagliflozine dans l’ étude CANVAS (Canaglifozin and cardiovascular and renal events in type 2 diabetes) dans laquelle 10 142 patients diabétiques et avec un risque cardiovasculaire élevé, ont été randomisés pour recevoir soit 100 mg de canagliflozine soit un placebo (11). Dans cette étude, le risque relatif de péjoration de la fonction rénale était réduit de 47% et la diminution de la protéinurie était de 18%. Toutefois, le risque d’ amputation semblait plus élevé chez les patients recevant la canagliflozine.
Il est important de signaler que ces bénéfices de néphroprotection obtenus avec les gliflozines l’ ont été chez des patients déjà traités avec une dose maximale d’ un bloqueur du système rénine-angiotensine. Cela indique donc que les effets bénéfiques de l’ inhibition de SGLT2 sont additifs à ceux des inhibiteurs du système rénine-angiotensine comme indiqué dans la figure 1. Cela s’ explique par le fait que les gliflozines agissent sur l’ artériole afférente alors que les inhibiteurs du système rénine-angiotensine agissent sur le glomérule et sur l’ artériole efférente.
Conclusion
La protection rénale constitue aujourd’ hui un aspect très important de la prise en charge des patients diabétiques car l’ insuffisance rénale augmente considérablement le risque de mortalité dans cette population. Les bloqueurs du système rénine-angiotensine associés aux mesures diététiques et au contrôle de la glycémie sont les piliers de la néphroprotection. Toutefois, les résultats récents obtenus avec les inhibiteurs de SGLT2 démontrent que l’ on peut améliorer la néphroprotection de manière significative en les combinant avec le traitement standard actuel. L’ association d’ un bloqueur du système rénine-angiotensine avec un inhibiteur de SGLT2 devrait devenir le traitement de choix pour prévenir la progression de la néphropathie diabétique.
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
Service de néphrologie et hypertension
Rue du Bugnon 17
1011 Lausanne
michel.burnier@chuv.ch
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
Service de néphrologie et hypertension
Rue du Bugnon 17
1011 Lausanne
Les auteurs n’ ont déclaré aucun conflit d’ intérêts en relation avec cet article.
- Tout patient diabétique devrait avoir une évaluation rénale une fois par année au minimum avec un calcul de la filtration glomérulaire estimée (eGFR) et une mesure de l’ albuminurie.
- Une prise en charge multidisciplinaire peut aider à améliorer la qualité de vie du patient diabétique, en détectant les problèmes plus tôt.
- La combinaison d’ inhibiteur de SGLT2 et d’ un bloqueur du RAS semble apporter une meilleure protection rénale dans le diabète de type 2.
Références:
1. Molitch ME, DeFronzo RA, Franz MJ, et al. Diabetic nephropathy. Diabetes Care 2003; 26 Suppl 1: S94-8.
2. Mancia GF, R. Narkiewicz, K. Redón, J. et al. Practice guidelines for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and the European Society of Cardiology (ESC): ESH/ESC Task force for the management of arterial hypertension. J Hypertens. 2013;31(7):1281-357
3. Thomas S, Karalliedde J. Diabetic nephropathy. Medicine 2015; 43(1):20-25
4. Lewis EJ, Hunsicker LG, Clarke WR, Berl T, Pohl MA, Lewis JB, Ritz E, Atkins RC, Rohde R, Raz I; Collaborative Study Group. Renoprotective effect of the angiotensin-receptor antagonist irbesartan in patients with nephropathy due to type 2 diabetes. N Engl J Med. 2001;345(12):851-60
5. Brenner BM, Cooper ME, de Zeeuw D, et al. Effects of losartan on renal and cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes and nephropathy. N Engl J Med 2001; 345(12): 861-9.
6. Parving HH, Lehnert H, Brochner-Mortensen J, et al. The effect of irbesartan on the development of diabetic nephropathy in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 2001; 345(12): 870-8.
7. Heerspink HJL, Kosiborod M, Inzucchi SE, Cherney DZI. Renoprotective effects of sodium-glucose cotransporter-2 inhibitors. Kidney Int. 2018 May 5. pii: S0085-2538(18)30125-X. doi: 10.1016/j.kint.2017.12.027.
8. Baker WL, Smyth LR, Riche DM, Bourret EM, Chamberlin KW, White WB. Effects of sodium-glucose co-transporter 2 inhibitors on blood pressure: a systematic review and meta-analysis. J Am Soc Hypertens 2014; 8(4): 262-75 e9.
9. Zinman B, Wanner C, Lachin JM, et al. Empagliflozin, Cardiovascular Outcomes, and Mortality in Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2015; 373(22): 2117-28.
10. Wanner, S.E. Inzucchi, J.M. Lachin, D. Fitchett, M. von Eynatten, M. Mattheus, et al. Empagliflozin and progression of kidney disease in Type 2 diabetes. N Engl J Med 2016; 375 (4): 323-334
11. Neal B, Perkovic V, Matthews DR. Canagliflozin and Cardiovascular and Renal Events in Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2017; 377(21): 2099.
la gazette médicale
- Vol. 8
- Ausgabe 1
- Januar 2019