Editorial

Prescription médicamenteuse chez le sujet âgé : peut mieux faire !



En dépit des maux qui, avec l’ âge, affectent le corps, vieillir demeure un privilège dont sont privés celles et ceux que fauchent prématurément la maladie, la famine ou la guerre. Mais plus un individu vieillit, plus s’ accroît la probabilité pour lui d’ être atteint de maladies dont chacune va imposer le recours à un ou plusieurs médicaments. Ainsi par exemple, le traitement actuel de l’ insuffisance cardiaque propose à lui seul quatre substances fondamentales. Appliquée sans discernement à des individus polymorbides, l’ Evidence Based Medicine ne peut qu’ aggraver la situation.

Or, paradoxe naturel, un organisme âgé demande davantage de médicaments alors qu’ il est plus vulnérable à leurs effets secondaires et à leurs interactions qui, non identifiés, risquent d’ accroître la polymédication par une prescription supplémentaire indue censée les traiter.

La consultation du Compendium suisse démontre qu’ en la matière, « tous peuvent tout faire ». A l’ inverse, comme l’ exprimait Georges Peters (1920-2006) ancien professeur de pharmacologie à la Faculté de médecine de Lausanne : « Si un médicament n’ a pas d’ effet secondaire, c’ est qu’ il n’ a pas d’ effet primaire ».

Après que l’ attention fut portée, notamment dans des établissements médico-sociaux, sur la polypharmacie atteignant parfois jusqu’ à 13 produits différents par personne et par jour (1,2) apparut la nécessité d’ une « déprescription », néologisme signifiant la suppression des médicaments jugés inappropriés ou inutiles (3,4). Bien qu’ indispensable, cette démarche reste insuffisante car il convient encore d’ identifier le médicament à l’ origine d’ un effet indésirable ou sans action thérapeutique. C’ est tout l’ intérêt du test de phénotypage, mesure in vivo de l’ activité enzymatique des cytochromes P450 et d’ un transporteur comme la glycoprotéine P (P-gp). Les premiers transforment les médicaments pour en faciliter l’ élimination et la seconde limite l’ absorption de nombreuses substances qu’ elle contribue à évacuer. Le test consiste à administrer oralement un médicament métabolisé par l’ enzyme dont on veut savoir l’ activité. Le résultat, donné par l’ analyse des métabolites, identifie un phénotype normal (activité enzymatique attendue), intermédiaire (activité enzymatique diminuée), lent (activité enzymatique très réduite ou absente) ou ultrarapide (activité enzymatique augmentée) (5).

En regard d’ une résistance thérapeutique ou au contraire d’ une hypersensibilité aux médicaments, « le phénotype mesuré par l’ examen et la réponse clinique du patient permet ainsi d’ adapter le traitement en modifiant les posologies ou en changeant de molécules » (5).

Les tests pharmacogénomiques, encore trop peu demandés en gériatrie malgré leur intérêt pour la population âgée, s’ avèrent désormais un des piliers du primum non nocere.

Pr Jean-Jacques Perrenoud
Jean-Jacques.Perrenoud@unige.ch

Pr Jean Jacques Perrenoud

Cardiologue FMH
Chemin Thury 12
1206 Genève

jean-jacques.perrenoud@unige.ch

1. Silva C, Ramalho C, Luz I, Monteiro J et al. Drug-related problems
in institutionalized, polymedicated elderly patients: opportunities for
pharmacist intervention. Int J Clin Pharm 2015;37:327-34.
2. Fog AF, Kvalvaag G, Engedal K, Strand J. Drug-related problems and changes in drug utilization after medication reviews in nursing homes
in Oslo, Norway. Scand J Prim Health Care 2017; 35:329-35.
3. Cateau D, Foley RA, Niquille A. Déprescrire en EMS: regards croisés entre les résidents, leurs proches et les professionnels de la santé.
Rev Med Suisse 2020;16:2169-71.
4. Blum MR, Sallevelt BTGM, Spinewine A, O’Mahony D et al. Optimizing
Therapy to Prevent Avoidable Hospital Admissions in Multimorbid
Older Adults (OPERAM): cluster randomised controlled trial. BMJ 2021;374:n1585.
5. El Biali M, Rollason V, Desmeules J, Samer C. Phénotypage en gériatrie : le « Geneva cocktail » comme aide à la prescription médicamenteuse. La gazette médicale 2022;11:14-16.

la gazette médicale

  • Vol. 11
  • Ausgabe 6
  • November 2022