Editorial

Seigneur, protège-nous des (pseudo-) experts



Apartir de l’  hiver 2020, notre quotidien a été dominé par la survenue d’ une pandémie virale qui a rapidement pris des proportions exceptionnelles et qui a eu des effets souvent
tragiques pour toute l’ humanité. Le virus, quelle que soit finalement son origine, réussit à combiner une capacité d’ infecter avec juste assez de létalité pour se répandre et rendre malade un maximum de personnes, en profitant probablement d’ une
démographie explosée, de notre obsession de mobilité et de l’ existence d’ énormes réservoirs de populations défavorisées et exposées sans protection aux maladies transmissibles.

Face au poids évident de la maladie, aux témoignages poignants du personnel hospitalier, face aussi à la tristesse des gens ayant perdu un de leur proche, on reste perplexe de voir un nombre impressionnant de citoyens/ennes de ce pays mettre en doute non seulement l’ efficacité des différentes mesures, en particulier la vaccination, mais l’ existence de la maladie même, avec le résultat que malgré un effort remarquable au niveau des cantons, presque la moitié de la population n’ est à ce jour toujours pas vaccinée. On se demande comment, dans un pays jouissant d’ un niveau d’ éducation élevé, autant de gens peuvent mettre en doute quasi l’ ensemble de la science et de l’ évidence et se réfugier dans toutes sortes d’ excuses, allant de l’ ignorance au complotisme, en passant par des prises d’ ésotérisme, typiques pour une société de riches.

Cette remise en question de la science est contre-productive et préoccupante. Force est malheureusement de reconnaître que certains « représentants » de la science et de l’ état y ont contribué de manière plus ou moins consentante. Nous avons tous et toutes été stupéfait(e)s de découvrir combien d’ experts en pandémie virale nous avons parmi nous. Sans douter du travail
sérieux de la plupart des chercheurs/euses dans ce domaine, j’ ai été progressivement irrité d’ entendre, jour après jour, toute sorte d’ «experts» sortis de leurs laboratoires et de devant leurs ordinateurs, pour se répandre le plus souvent dans des spéculations basées sur bien peu d’ expérience sur le terrain. La plupart du temps, il s’ agissait de déclamer que l’ apocalypse était devant la porte et qu’ il fallait rapidement enfermer les citoyens/ennes – par définition inférieur(e)s en savoir et en intelligence – dans leurs maisons et les empêcher de vivre. Bien sûr que les médias adorent les scoops sentant le soufre et qu’ une carrière académique prépare mal à l’ exercice de l’ interview télévisée, mais on aurait quand même souhaité un peu plus de retenue. C’ est un jeu dangereux parce que les gens qui ne croient plus les porteurs officiels de l’ évidence tendent à se tourner vers les fournisseurs de réponses simples et complaisantes.

Les experts ne sont pas les seuls en cause, évidemment. Le virus lui-même nous a plusieurs fois pris à contre-pied. Loin de moi de tomber dans le dos du ou des gouvernements, personne ne savait ce qui allait se passer, et la Suisse ne s’ en est pas si mal sortie. Malheureusement, la communication officielle est restée à ce jour peu professionnelle, scientifiquement souvent douteuse, et n’ a pas toujours soutenu la confiance dans les institutions. Bien sûr, le fédéralisme n’ est pas l’ outil idéal pour affronter une crise aiguë, et la politisation des décisions par certains partis a contribué à rendre les décisions difficiles et à semer le doute. Et finalement, il y aura toujours des sceptiques irréductibles. Au moins dans notre petit coin de la planète, ils ont le droit et la liberté d’ exprimer leurs doutes.

Une gestion de crise est requise de la part des autorités et une réponse professionnelle de la communauté scientifique est indispensable lors d’ une crise comme celle de COVID-19. Même si la liberté d’ expression est un droit fondamental, l’ opinion publique et le savoir commun ne constituent pas un libre-service pour chaque petit malin, professeur(e) ou non, qui s’ offre son petit moment de gloire médiatique. Un scientifique professionnel n’ est pas celui qui montre qu’ il sait beaucoup de choses, mais bien celui/celle qui reconnaît les limites de ce savoir. La virologie, l’ épidémiologie et l’ immunologie ont fait d’ énormes progrès, mais il reste beaucoup d’ inconnues. Un modèle informatique nourri avec des informations incomplètes ne produira jamais que des propositions incomplètes ou même fausses. Cela ne le rend pas inutile, mais il est capital de commenter ces informations de manière critique et en évitant de parler avant d’ être sûr que l’ on a quelque chose à dire.

Si la solidarité et la résilience collectives ne peuvent pas s’ appuyer sur une voix crédible de la science et des autorités, il ne faut pas s’ étonner qu’ une partie de la population ne croit plus personne et se tourne vers les complotistes et les cinglés de tout bord.

Dr. med.Urs Kaufmann

Bolligen

urs.kaufmann@hin.ch

la gazette médicale

  • Vol. 10
  • Ausgabe 5
  • September 2021