- Un modèle genevois novateur
Le service d’ urgences gériatriques genevois est un nouveau modèle de structure de soins d’ urgences implantées dans un hôpital gériatrique, qui a pour but d’ offrir aux seniors une prise en charge interdisciplinaire par une équipe sensibilisée aux particularités des patients âgés. L’ environnement adapté à cette population et l’ absence de délai d’ attente permettent de rendre le passage aux urgences moins pénible pour le patient.
Introduction
Avec le vieillissement de la population, le Service d’ urgences adultes site Cluse-Roseraie (SU) accueille de plus en plus de personnes âgées ; en effet, les chiffres de 2015 montrent que les patients âgés d’ au moins 80 ans constituent 13 % des passages au SU, alors que ce groupe d’ âge représente actuellement 5 % de la population du Canton de Genève selon l’ OFS (1).
Il est bien connu que la population âgée recourt plus souvent aux services d’ urgences que la population jeune (2) et qu’ elle y reste plus longtemps (2-7). Ce milieu n’ est pas adapté aux patients âgés fragiles (8) qui relèvent d’ une prise en charge complexe, prenant en compte à la fois la pathologie aiguë mais aussi les comorbidités qui peuvent décompenser un équilibre précaire. Une bonne évaluation doit explorer de plus, les performances fonctionnelles, cognitives et le contexte social de chaque patient, afin d’ établir la meilleure orientation, les médecins urgentistes généralistes devant pouvoir se consacrer aux urgences vitales qui restent prioritaires.
Des solutions
Pour répondre au vieillissement démographique et à l’ afflux de personnes âgées aux urgences, les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) créent dans un premier temps en 2005 la « voie grise » (unité de gériatrie de liaison) dédiée aux seniors: il s’ agit d’ une équipe de gériatres implantés dans un service d’ urgence qui évaluent les
patients âgés non urgents en première intention ; si cette unité gériatrique apporte des améliorations, celles-ci sont insuffisantes, car les patients âgés non urgents doivent rester parfois plusieurs heures sur un brancard, et pour ceux qui doivent être hospitalisés, être transférés le lendemain à l’ Hôpital des Trois-Chêne (3C), situé à 6,8km.
Dès ce moment, la question d’ implanter directement une structure d’ urgences gériatriques au sein même d’ un hôpital de gériatrie, s’ impose comme une évidence.
Création des urgences gériatriques des Trois-Chêne
Le 1er novembre 2016, les Urgences Trois-Chêne (U3C) ont ouvert leurs portes au sein d’ un hôpital de gériatrie de près de 300 lits. Cette structure est la première du genre en Suisse. Elle est ouverte tous les jours de 8h à 19h et est dédiée à l’ accueil des patients de 75 ans et plus, en degré d’ urgence médicale non vitale, non chirurgicale, et ne nécessitant pas de spécialiste.
La mission première de ce service est d’ assurer la qualité de l’ accueil des patients âgés aux urgences, en leur apportant des soins spécifiques et adaptés ; ce projet s’ inscrit également dans le plan stratégique vision 20/20, où les HUG se sont engagés notamment à « diminuer l’ attente aux urgences ». La création de ces urgences gériatriques directement sur le site de l’ Hôpital de gériatrie, permet de plus de diminuer les transferts intersites et participe au désengorgement du SU.
Pour la conception de ce centre d’ urgences, nous nous sommes aidés de la littérature afin d’ éviter au mieux les écueils architecturaux: logique de flux dans les couloirs, contrastes de couleurs murssol, luminosité (lumière du jour et lumières indirectes dans les couloirs), espaces apaisants pour les patients agités, chambres individuelles (accompagnant bienvenu) pour les isolements, respect du rythme nycthéméral et distribution de repas 3x/j, respect de l’ intimité et calme ambiant, signalétique adéquate des WC et salles de bain, main courante (9,10).
L’ ergonomie des lieux a été pensée en tenant compte des contraintes d’ un bâtiment existant, auquel nous avons pu ajouter une nouvelle construction de 130m2, servant d’ accueil et d’ évaluation aux nouveaux patients ; elle permet de favoriser le flux des patients dans le même sens, de l’ extérieur du bâtiment vers l’ intérieur. Dès leur arrivée, les patients sont installés dans un lit, lit qu’ il garderont durant tout leur séjour s’ ils sont hospitalisés, et évalués par l’ infirmière qui prend les paramètres vitaux, évalue le degré d’ urgence du patient et assure les premiers soins ; le patient est ensuite rapidement acheminé dans une chambre (à un ou deux lits) afin d’ être examiné par son médecin. Il restera dans une chambre aux urgences durant toute la durée de son évaluation et pourra aussi y passer la nuit si nécessaire, en vue de déterminer son orientation le lendemain matin.
L’ Hôpital 3C est de plus pourvu d’ un service d’ imagerie hors pair depuis 2014 : scanner, IRM, échographie, radiologie standard. Cet équipement dernier cri permet de pouvoir effectuer un bilan complet du patient, sans le déplacer sur un autre site. Cependant, si celui-ci nécessite en urgence l’ avis d’ un spécialiste ou d’ un chirurgien, il est préférable qu’ il se rende directement au SU.
Lorsque le patient âgé est transporté en ambulance, son degré d’ urgence (donnant une indication du temps maximal d’ attente avant une prise en charge médicale) est évalué par les ambulanciers selon l’ échelle suisse de tri (EST). Cette échelle a été mise en place aux HUG en 1997 et est maintenant largement utilisée en Suisse et dans certains pays limitrophes. Les ambulanciers du canton de Genève ont été formés à son utilisation (11), afin de, non seulement quantifier la gravité du cas, mais aussi d’ indiquer l’ orientation du patient âgé vers le SU ou vers les U3C.
Typologie des patients des U3C en 2017 et 2018
En 2017, les U3C ont accueilli un peu moins de 3000 patients, pour la plupart des femmes (65 %), d’ un âge médian de 85 ans. 10 % des patients étaient âgés de moins de 75 ans. La moitié des patients est arrivée en ambulance, l’ autre moitié par ses propres moyens. Le temps de passage moyen passé en zone d’ évaluation était de 4,7h, et les patients ont été immédiatement pris en charge, sans délai d’ attente.
En 2018, la typologie des patients est en tout point comparable hormis une augmentation du flux de patients de 12 %. Malgré cette augmentation de flux, tous les patients ont pu, là encore, être pris en charge sans délai, même lors des mois chargés de décembre et janvier, propices au développement d’ infections virales (grippe, RSV, gastro-entérite,…).
Alors que nous devrions accueillir des urgences non vitales, 30 % des patients sont arrivés en 2017 en degré d’ urgences 1 ou 2 selon l’ EST, c’ est-à-dire en urgence vitale nécessitant une prise en charge immédiate ou dans les 20 minutes. Cette proportion s’ est maintenue en 2018 ; malgré cela, très peu de transferts vers le SU ont dû être effectués, indiquant que ces urgences vitales ont pu être gérées sur le site, démontrant ainsi les compétences des équipes médico-soignantes à gérer des situations de soins plus aiguës.
La dyspnée/ tachypnée/bradypnée constitue le principal motif d’ hospitalisation (assimilé au motif d’ admission et non pas au diagnostic médical retenu), suivi par la baisse de l’ état général, la chute, la douleur de dos, le malaise, la confusion, la fièvre. Les diagnostics principaux les plus fréquemment retenus sont : des causes cardiaques (principalement décompensation cardiaque), des causes pulmonaires (principalement pneumonie) et des causes ostéo-articulaires (chutes, fractures, arthrite, ostéoporose).
Le motif d’ admission de « baisse de l’ état général » étant fréquemment retrouvé, nous nous sommes penchés sur les dossiers pour voir si une pathologie se démarquait ; les diagnostics principaux étaient divers, sans qu’ aucune pathologie ne se singularise : delirium/ troubles cognitifs, infection, malaise et fatigue, tumeur maligne, pathologie cardiaque, dépression, dénutrition,….
A l’ issue du passage aux U3C, 62 % des patients sont hospitalisés aux 3C, 5 % sur des sites périphériques de réadaptation et 22 % retournent dans leur lieu de vie. Pour ceux qui passent 24h aux U3C et qui sont réévalués par l’ équipe médico-soignante le lendemain, ce chiffre de retour à domicile s’ élève à 26 %, grâce notamment à la réévaluation par nos infirmières de liaison qui sont étroitement associées à la prise de décision concernant l’ orientation du patient. Ceux qui rentrent à domicile sont en moyenne un peu plus jeunes que la moyenne d’ âge aux U3C (78,5 ans versus 83 ans) et vivent à domicile en couple sans encadrement. L’ évaluation du retour à domicile est un sujet complexe qui nécessite une vision globale du malade : il faut non seulement avoir clairement cerné sa pathologie principale, mais aussi diagnostiqué les comorbidités qui peuvent être décompensées ainsi qu’ avoir évalué l’ environnement à domicile. Des échelles gériatriques peuvent aider à la prise de décision (12) ainsi que des équipes interdisciplinaires réactives pour organiser la mise en place d’ un encadrement à domicile. La communication avec les structures ambulatoires et les proches aidants prend ici tout son sens. Ainsi, le médecin traitant reçoit le jour–même ou le lendemain, un courrier lui signifiant que son patient est hospitalisé aux 3C ou a contrario qu’ il est rentré à la maison ; sur ce courrier figurent les diagnostics principaux et le traitement de sortie.
Conclusion
Les U3C ont accueilli près de 3000 patients la 1ère année de leur ouverture et augmenté de 12 % leur flux de patients la 2e année à 3330 ; la capacité d’ accueil maximale n’ est cependant pas encore atteinte et d’ autres patients âgés pourraient encore bénéficier de cet accueil spécialisé.
Hôpital des Trois-Chêne
Service de médecine interne de l’ âgé
Chemin du Pont-Bochet 3
1226 Thônex
veronique.trombert@hcuge.ch
Hôpital des Trois-Chêne
Service de médecine interne de l’ âgé
Chemin du Pont-Bochet 3
1226 Thônex
daiana.donca@hcuge.ch
Hôpital des Trois-Chêne
Service de médecine interne de l’ âgé
Chemin du Pont-Bochet 3
1226 Thônex
Les auteurs n’ ont déclaré aucun conflit d’ intérêts en relation avec cet article
- Les U3C ont fondé au sein même d’ un hôpital de gériatrie une
structure d’ urgences ouverte 7/7j de 8h à 19h permettant d’ accueillir et d’ évaluer les patients âgés de 75 ans et plus, en urgence non vitale, ne nécessitant ni chirurgie, ni spécialiste. - Les patients peuvent s’ y rendre soit spontanément, soit adressés par un professionnel de santé, soit orientés par les ambulanciers.
- Point fort : pas de délai d’ attente aux U3C. Les patients bénéficient dès leur arrivée d’une prise en charge gériatrique spécifique par une équipe interdisciplinaire.
Références:
1. OFS – Recensements fédéraux de la population / OCSTAT – Statistique cantonale de la population https://www.ge.ch/statistique/tel/publications/2018/informations_statistiques/autres_themes/is_population_13_2018.pdf https://www.ge.ch/statistique/tel/publications/2018/donnees_generales/memento/dg-ms-2018.pdf
2. Aminzadeh et al. Older adults in the emergency department: a systematic review of patterns of use, adverse outcomes, and effectiveness of interventions. Ann Emerg Med. 2002;39:238-247.
3. Jarrar M.S. et al. L’ Accueil et la durée de la prise en charge des patients au service des urgences du CHU Journal Maghrébin d’ Anesthésie-Réanimation et de Médecine d’ Urgence 2008 ; (15) : 251-257.
4. Le Spégagne Temps d’ attente et de passage aux Urgences. Paris: Mission nationale d’ expertise et d’ audit hospitaliers; mai2005.
5. Hosseininejad S.M. et al. Determinants of Prolonged Length of Stay in the Emergency Department; a Cross-sectional Study. Emerg (Tehran). 2017;5(1):e53.
6. Ye L. et al. Prolonged length of stay in the emergency department in high-acuity patients at a Chinese tertiary hospital. Emerg Med Australas.
2012 Dec ;24(6) : 634–40.
7. Bobrovitz N. et al. Who breaches the four-hour emergency department wait time target? A retrospective analysis of 374,000 emergency department attendances between 2008 and 2013 at a type 1 emergency department in England.
BMC Emerg Med. 2017 Nov 2;17(1):32.
8. Sarasin F. et al. Difficulté de la prise en charge des patients âgés aux urgences. Rev Med Suisse 2003;
9. Büla C. et al. Personnes âgées aux urgences : défis actuels et futurs. Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 1534-8.
10. New York Times, April 10th & May 13th,2012; http://newoldage.blogs.nytimes.com/2011/03/14/hospitals-building-emergency-rooms-for-the-elderly/
11. Grosgurin O. et al. Reliability and performance of the Swiss Emergency Triage Scale used by paramedics. Eur J Emerg Med. 2017.
12. Graf C. et al. Evaluation gériatrique aux urgences : boîte à outils pour les nuls. Rev Med Suisse 2012; 8: 1544-7.
la gazette médicale
- Vol. 8
- Ausgabe 3
- Mai 2019