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Un regard Balint sur des troubles anxieux

Recevoir un patient avec des troubles anxieux est une situation courante pour les médecins généralistes, et la gestion de l’anxiété ne nécessite pas toujours une consultation spécialisée. L’anxiété en elle-même signale un déséquilibre souvent de manière non spécifique, donc son accueil dans la consultation est crucial. Il est important pour le médecin de reconnaître et d’interpréter les signaux d’alarme de l’anxiété, plutôt que de simplement la traiter avec des médicaments anxiolytiques. Une approche d’écoute active, relayée par celle d’un groupe Balint, peut aider à comprendre et à répondre aux besoins du patient anxieux. L’anxiété, souvent liée à la peur de la mort, peut influencer la relation médecin-patient et nécessite une approche empathique et réfléchie pour être gérée efficacement.



Receiving a patient with anxiety disorders is a common situation for GPs, and managing anxiety does not always require a specialist consultation. Anxiety in itself often signals an imbalance in a non-specific way, so its reception in the consultation is crucial. It is important for the doctor to recognise and interpret the warning signs of anxiety, rather than simply treating it with anxiolytic drugs. An active listening approach, supported by that of a Balint group, can help to understand and respond to the needs of the anxious patient. Anxiety, often linked to the fear of death, can influence the doctor-patient relationship and requires an empathetic and thoughtful approach if it is to be managed effectively.

Keywords: doctor-patient relationship, anxiety disorders, anxiolytic drugs, Balint group

Recevoir un patient avec des troubles anxieux relève du quotidien du médecin généraliste, et cette pratique de l’anxiété ne demande pas de consultation spécialisée. Nous allons discuter de son accueil dans le cabinet du praticien et de l’intérêt d’un regard Balint sur cet accueil et sur les interactions médecin-malade, médecin-soignant-malade.

Accueil de l’anxiété dans la consultation

L’anxiété est un signe vague, peu spécifique, analogue à la douleur et dans ce sens, elle signale un déséquilibre sans plus de précision. Sigmund Freud décrit déjà en 1895 la multiplicité des symptômes somatiques de l’angoisse, des vertiges à la pollakiurie, des spasmes intestinaux aux maux de tête (1). C’est un signal d’alarme dit Freud, au médecin et au soignant de l’entendre et de le lire pour y voir clair.

Le médecin peut en quelques questions en savoir plus. Comme la douleur, l’anxiété peut se palper pour révéler son origine. Une question sur un deuil récent, sur l’annonce d’une maladie somatique et le médecin perçoit l’anxiété augmenter, le débit verbal s’accélérer, et les anticipations négatives arriver. Si le médecin palpe juste, il va en effet voir l’anxiété varier et pourra donc l’utiliser directement dans sa consultation. Évitons donc de l’éteindre rapidement avec un anxiolytique, car on n’y verra plus rien. Nous pouvons ici nous fier à Michael Balint qui propose dans « Comment débuter » (2) une écoute active du médecin, ouverte dans un entretien qui ne s’enferme pas dans une seule collecte anamnestique. Étonnamment simple, une pratique de l’écoute offre aussi un temps de réflexion utile pour formuler la réponse « rassurante » demandée par l’anxiété. Cette réponse vise à définir les enjeux soignants à venir et d’habitude en nommant un diagnostic, elle constitue la première action psychosomatique soignante. En effet, décrire mais surtout nommer la maladie dont souffre le patient donne une prise cognitive rassurante: connaitre le «mal» relève des mêmes mécanismes qui font le bienfait des contes qui rassurent les angoisses infantiles. Le flou symptomatique est circonscrit, ainsi désigné il fait moins peur.

Lors de la consultation, l’anxiété accompagne chaque maladie et chaque symptôme, elle est l’affect qui est forcément présent, parfois de manière cachée, refoulée, transformée par les mécanismes de défense. Cette anxiété primaire, c’est l’angoisse de mort. Avec l’angoisse issue de la libido, ce sont nos deux angoisses primaires vie-mort. L’ angoisse de mort court avec la maladie, anticipe notre fin, elle est plus ou moins contenue, elle peut aussi déborder les mécanismes de défense et déferler comme une vague, une digue est rompue.

Argan, le malade imaginaire de Molière est immergé dans l’angoisse de mort. Dans sa relation avec les médecins, il est crédule, méfiant et avide, tout en même temps, comme ceux qui savent que la mort vainc la médecine. Le médecin doit répondre à l’angoisse de mort sous-jacente, sinon les traitements s’enchainent comme chez Molière. La phase d’écoute active permet d’accueillir l’angoisse de mort qui doit être contenue comme une hémorragie par la relation soignante. Parfois, l’anxiété déborde la relation et déstabilise le système soignant. Elle ne trouve plus ni son objet ni son pourquoi. Et surtout, elle ne trouve pas ou plus une partie du corps qui la contient comme dans le trouble psychosomatique.

L’anxiété débordante

Mon patient a 88 ans. Il me dit souffrir, depuis qu’il est jeune adulte, de troubles digestifs et de céphalées d’allure tensionnelles. Il me parle de ses nuits qui sont très courtes, entrecoupées par de rares plages de sommeil s’il ne prend pas de benzodiazépines. Il en a pris jusqu’à 5 cp de Temesta par nuit. Il souffre d’une polyarthrose, ses douleurs limitent sa mobilité. Il se déplace en rollator et en chaise roulante. Il ne peut faire que quelques pas et les transferts. Il a pris beaucoup de poids et sa dyspnée s’est donc exacerbée. Il reconnaît que ses problèmes de santé, ces dernières années, ont augmenté son anxiété. Des évènements contextuels ont aggravé sa situation. Son épouse est décédée récemment. Sa fille aînée a souffert d’un burn-out; raison pour laquelle elle habite chez son père depuis un an. L’ensemble de ces facteurs de stress ont dépassé les capacités d’adaptation du patient qui a présenté des attaques de panique quasi-quotidiennes. Elles se manifestent par une dyspnée aiguë et une sensation de mort imminente ou de devenir fou. Mes consultations à domicile sont soutenues par ergothérapeute, aide à domicile, physiothérapeute, diététicienne, psychiatre mais le trouble anxieux persiste.

L’approche Balint

Issus des travaux de Michael Balint, les groupes Balint (3) sont organisés pour échanger sur des situations soignant-soigné, animés par un superviseur, habituellement un psychiatre/psychanalyste. On y présente 1 ou 2 cas sans notes ni dossier et une question est posée au groupe par le présentateur. Les échanges se concentrent sur la relation thérapeutique elle-même: son début et éventuel héritage de relation soignante passée, l’évolution, la situation actuelle. La richesse des associations et des questions des pairs ouvre le champ. Le superviseur veille à ce que le groupe reste sur la thématique relationnelle sans se perdre dans l’analyse du patient ou du médecin. Si la potentialité positive placebo de la relation est bien connue, le pouvoir nocebo d’une relation soignant/soigné est à notre sens insuffisamment mise en avant. Nous assistons pourtant souvent à des symétries poussant d’un côté à l’augmentation des symptômes et de l’autre à une accumulation d’examens.

En effet, l’anxiété se propage comme le feu qui prend possession du patient puis des proches et des soignants. Le médecin est désigné comme l’un des acteurs qui doit éteindre le feu. Il s’arme des défenses qu’il connait, il nomme, distingue, classifie et souvent propose une médication. Mais, s’il est contaminé par l’angoisse, il peut se sentir obligé de prescrire des traitements inappropriés parfois iatrogènes. Appliquée aux troubles anxieux, la méthode Balint produit du nouveau dans la prise en charge. Le médecin pris dans le brouillard anxieux reçoit des avis, des conseils et des validations de son travail et de ses attitudes. Exposer la relation amène une clarification des rôles et de la dynamique que l’anxiété avait brouillé entre les acteurs de la situation. Dans son chapitre dédié (4), Balint parle des rapports de spécialistes, y compris ceux des psychiatres, qui tendent à dessaisir le médecin omnipraticien de la dimension existentielle de la demande du patient, à savoir gérer l’angoisse de mort. Il peut s’ensuivre une multiplication de réponses «physiques» qui en fait laissent libre cours à la propagation anxieuse parfois même en l’amplifiant.

Un regard Balint

En soumettant l’exemple décrit précédemment à un regard Balint, on voit apparaitre de nouveaux choix d’intervention:
• Rencontrer le corps dans la relation, tenir une main, le toucher pour apaiser l’anxiété, réexaminer son patient.
• Trouver une manière de finir les consultations qui inclut l’anxiété soulevée par la séparation: savoir prévoir le vide et penser dès le début au message de la fin: vous serez peut-être plus angoissé quand je partirai, voici ce que je vous propose de faire (écrire qq mots, dessiner, tél à qqn, …)
• Être avec, marcher avec: être disponible pour que le moment de la consultation soit agréable, pouvoir se réjouir de voir le patient angoissé car je vais l’aider par ma présence.
• Organiser, structurer la journée, les rendez-vous, moments de rencontre. Pour chaque moment de la journée, trouver une réponse aux questions angoissées du patient. Que va-t-il se passer? Où vais-je me retrouver?
• Faire un réseau pour soutenir le tissu relationnel soignant et contenir l’angoisse diffuse. Ce tissu entre thérapeutes et famille forme comme un filet de sécurité qui a été désorganisé par l’angoisse.
Ces propositions visent à reprendre la main sur l’angoisse de mort circulante dans la situation. Parler de l’angoisse de mort, trouver un bon lieu (cela peut être une promenade avec le patient) et le bon moment pour l’aborder est essentiel. Alors, nous nous sommes déplacés de la position de guérir le symptôme à tout prix à la gestion commune de l’angoisse.

Actions psychosomatiques soignantes

S’il existe des maladies psychosomatiques, il existe aussi des actions psychosomatiques soignantes qui fonctionnent comme des moments psychothérapeutiques. La première d’entre elles consiste en nommant l’émotion, ici l’angoisse, et la légitimer. Il faut trouver les mots pour expliquer la force de cette émotion partagée et ces mots diffèrent pour chaque relation soignante. On peut parler de feu, d’inondation ou de tempête de l’angoisse, en tous les cas nommer ce qui emporte la relation et ses acteurs sans qu’ils puissent y échapper.

Dans la vignette, l’action psychosomatique sera d’arrêter la propagation du feu anxieux pour éviter le risque de la spirale iatrogénique. Pour réinstaller un cadre de traitement, on s’appuie sur le contexte soignant tout entier en organisant la temporalité des soins et le message délivré par les soignants. Dans la relation, on peut utiliser des médiations différentes de la parole comme le dessin (dessiner l’angoisse dans le corps), parfois une musique partagée ou un jeu. L’être avec peut devenir marcher avec, et le médecin choisit sa technique de relaxation (hypnose, méditation).

Beaucoup de médecins sont encore trop inhibés devant l’utilisation de ces actions soignantes et empêchent eux-mêmes leur créativité alors qu’elle est nécessaire devant le risque de chronicisation et de fatigue compassionnelle. Les groupes Balint et la supervision individuelle Balint (5) ainsi que les formations continues (SoPSOc) sont là pour lutter contre les résistances à cette approche.

Conclusion

L’incipit de la citation de Molière reflète sa position naturaliste, l’homme doit accepter son impuissance devant la maladie et la mort. On peut l’entendre aussi comme un message de fraternité Balintien. Ce qui compte c’est l’autre le frère, la personne du médecin et non ce qu’il prescrit; comme le dit Balint le médecin doit se prescrire lui-même. L’anxiété est une hémorragie, et une défaite pour le Moi dont le rôle est de réguler les stimuli et les instances, il n’en peut plus et donc se manifeste par l’anxiété. La nommer, la faire parler, par exemple des crocodiles sous le lit, cette mise en mot rassure. Comment l’accueillir sans agir, lui donner sa place et suivre son cours et éventuellement remonter à la source et la transformer en discours sur la séparation, l’impuissance, le deuil, la peur de la mort, le désir. L’anxiété se met alors à parler au travers de la relation au médecin, et la peur trouve son objet.

Copyright: Aerzteverlag medinfo AG

Dr Matthias Vannotti

Médecin interne Générale FMH
rue Verdaine 8/a
1095 Lutry

mvannotti@hotmail.com

Dr Dag Söderström

FMH psychiatrie et psychothérapie, psychanalyste SSPsa
Av de la Gare 16
1800 Vevey

dsoderstrom@bluewin.ch

Les auteurs n’ont pas déclaré de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

1. Freud S. Qu’il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de « névrose d’angoisse », Névrose psychose et perversion, Parid, PUF, 1973, pp15–38
2. Balint M, comment débuter, in Le médecin, son malade et la maladie, 1966 Payot, pp128–146
3. Voir Balint.ch
4. Balint M, La survivance de la relation maître-élève, in Le médecin, son malade et la maladie 1966, Payot, pp103–117
5. Herzig L, Söderström D: Supervision individuelle: une aide face aux patients difficiles. Primary care 2013;13:5, 86–87

la gazette médicale

  • Vol. 13
  • Ausgabe 4
  • Juli 2024